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Lettre à A.
 

Batailles choisies #676

Tu viens d’avoir un bébé, on a discuté cinq minutes sur un stand. On ne se reverra peut-être plus jamais. Mais j’ai envie de t’écrire cette lettre, à toi, A., une mère comme une autre, une mère comme nous toutes. 💪


 

A., merci d’être venue discuter quelques minutes avec moi, à la table où je dédicaçais des exemplaires de Nos enfants, nous-mêmes, après la conférence.

A., merci.

Parce que je suis heureuse qu’on puisse voir en moi une maman qui écoute d’autres mamans. Une maman à qui on peut dire, timidement d’abord, puis avec un peu plus de voix, que, vraiment, non, ce n’est pas facile, d’avoir un bébé, que ce n’est… même… enfin… pas aussi bien que ce qu’on pensait, d’être mère.  


Tu es une femme éduquée.

Une trentenaire dynamique.

Une lectrice.

Une féministe.

Une jeune mère d’un fils de quelques mois.

Et pourtant, tu es surtout une jeune femme qui ne comprend pas comment elle a pu, à ce point, ne rien savoir sur ce qu’était avoir un enfant.

Une mère choquée - sous le choc de la vérité qu’être mère est un état de fait pour lequel il n’y a pas de retour en arrière possible, ni de salutaire demi-mesure.  

Une mère secouée - encore tremblante des secousses de se retrouver si seule avec son enfant. 

Une mère étourdie - prise du vertige à regarder si souvent au fond d’un gouffre dont on n’imaginait pas l’existence avant.


Abîme, gouffre, abysse, c’est un peu fort. C’est vrai. Toutes les mères ne vivent pas avec désespoir cette période. Mais on la vit toutes, ou presque, dans la solitude. On passe toutes des nuits infiniment longues ou terriblement courtes, on passe toutes des couches aux biberons dans un cycle qui n’en finit jamais, on passe toutes par des moments de doute, on tente de raisonner les pensées désenchantées, découragées, sombres, qui nous passent par la tête. En matière d’enfants, les journées passent lentement et les années passent vite. 


Comme je comprends ce désarroi, comme j’ai vécu cette même claque, cette entrée dans la maternité comme on serait jetée aux fauves pendant que quelqu’un crie “que le meilleur gagne!”

A., tu ne le dis pas directement.

Non, tu te contentes de suggérer.

Oh la, ben, c’est dur.

Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi dur. 

C’est pas que je regrette…

C’est pas que je l’aime pas…

C’est juste que…

C‘est dur.

Et que, ce que je trouve incroyable, ce que je trouve fou, c’est que personne ne me l’ait dit. 


A., je suis assise, difficilement mobile, empêchée derrière cette grande table pleine de livres, difficilement flexible sur mes horaires qui me contraignent à rester ici, mais j’aurais envie de me lever et d’aller boire un café avec toi! De t’écouter, d’être ton temps pour toi, d'accueillir ta parole sans donner de conseil, de solution, d’avis. Quand on est mère, on a besoin, souvent, de déposer mots et bagages. J’ai envie de cueillir les larmes qui se retiennent de couler sur tes joues, de recueillir tes mots qui perlent alors que tu te mords les lèvres pour retenir ce que tu as à dire.


A., toi et moi, on a vécu la même chose. On a ressenti la même chose. 

On s’est senties arnaquées.    

Trompées.

Lésées.

Flouées.


C’est une des périodes les plus difficiles de notre vie et, en plus de survivre, le bébé et nous, on devrait trouver que c’est merveilleux! Pourquoi parle-t-on de moments merveilleux, alors qu’ils sont plutôt terribles, même si, bien sûr, dans le brouillard des mauvaises nuits, dans le désordre des couches, il existe les sourires aux anges et les chairs toutes chaudes? 

 

Personne ne nous l’avait dit, qu’on se sentirait si seules.

Et puis, personne ne nous avait dit que le père, ou la belle-mère, ou la copine de boulot, sortirait des remarques qui vous poignardent le dos, sans y penser une seule seconde. 

A., tu me dis: mon mari, quand il rentre, qui dit qu’en ce moment, c’est difficile, il n’a que les moments difficiles avec notre fils. 

Et toi, A., tu te dis: mais il n’écoute pas? Il n’entend pas alors, quand tu lui racontes tes journées longues, pénibles, éreintantes? Il s’imagine que des licornes et des arcs-en-ciel avec bande-son de ukulélé constituent l’arrière-plan  de journées avec un nourrisson?


Alors, si tu n’es pas entendue, A., peut-être que tu seras lue? Si tu veux m’écrire? Ou bien, si tu veux juste lire cette lettre, A.. 

On sait.

Tu n’es pas seule.

Courage à toi, A.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Miroir grossissant
 

Batailles choisies #653

Nos enfants, miroirs déformés, convexes, concaves, déformants, amincissants, grossissants, de nous-mêmes. 🪞


Dans nos enfants, on se voit, en mieux. Je trouve Grand avec le sens de l’humour que j’aimerais avoir, avec une habileté pour les arts, le dessin, la peinture, que son père envie. Milieu est plus pugnace mais aussi bien plus cool que Mari et moi. Quant à Dernier, il n’est pas du genre à se faire marcher sur les pieds, et il est bien plus adroit, habile, sportif que son père et moi combinés. Les bons jours, Mari et moi regardons nos enfants et les trouvons vraiment réussis. Non, vraiment, nous les voyons prendre notre potentiel, et le faire éclore, le grandir, le mûrir. Ils nous étonnent, même! Les voir nous améliorer, Mari et moi, me fait tellement plaisir, me donne l’impression que, dans le monde, sont entrées tout de même, malgré les difficultés, les angoisses, de belles personnes, de celles qui ont un impact positif.  


Le seul souci, c’est qu’il y a aussi, parfois même surtout, avec les enfants, les mauvais jours.

Il y a d’abord nos petits défauts, mais en pire. Milieu est taiseux et ne dit pas jamais ce qui lui arrive. Dernier est têtu et ne lâche pas une affaire à laquelle il tient. Grand fait un bruit d’éléphant, claquant les portes, tirant la chasse avec le même débit d’eau torrentielle que le fleuve lavant les écuries d’Augias, posant chaque pas avec une délicatesse pachydermique.

Et puis, il y a surtout les gros défauts, les parties qu’on n’aime pas de soi-même associées à celles qu’on n’aime pas de notre partenaire de vie, pour créer un cocktail de dépit et de frustration détonnant. Grand l’empoté, Milieu l’égoïste, Dernier le désagréable.


C’est le plus évident avec notre aîné, parce que c’est celui qui a la personnalité la plus affirmée, bien sûr. Il va sur ses neuf ans, il est une petite personne avec son bagage, ses qualités et ses défauts définissables même s’ils ne sont pas définitifs. Grand, au lieu de regarder le jus que tu as renversé se répandre sur le comptoir sans rien faire, tu peux peut-être prendre du sopalin, hein? Comment ça, tu ne trouves pas ton pantalon? Mais tu as vraiment cherché? Comment ça, tu as eu un jaune dans ton évaluation d’espagnol? Non mais quand on ne sait pas, on ne se contente pas du médiocre, on essaie, on travaille, on apprend le sens de l’effort.  


Qu’est-ce qu’il m’énerve quand il est comme ça! 

En même temps, les chiens ne font pas des chats.

Il faut bien se regarder dans le miroir - autocritique.

Il faut bien aussi savoir détourner le regard - empathie, douceur, compassion.


Allez, parfois, on fait seulement ce qu’on peut, et ce n’est pas si mal.

 

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