Va-t’en, Maman

 

Batailles choisies #562

De l’art d’aimer ses enfants, en allant jouer ailleurs. 👋


 

Les deux aînés et moi-même sommes en vacances. Dernier est à la crèche. Je ne suis pas pressée par le travail. Il est tôt, nous avons la journée devant nous. À l’étage, où nous sommes installés dans la salle de jeux, le soleil nous caresse de ses beaux rayons d’automne. On va passer un bon moment… quelle chance j’ai!

Mes aînés s’enthousiasment d’abord pour une partie de Bingo, qui commence bien, traînasse un peu, s’enlise dans un ennui terrible dont Milieu saute en marche, ce qui me laisse seule avec Grand à me languir à mourir en attendant que les numéros tombent, non, je n’ai pas le 54. Pendant ce temps, Milieu papillonne vers une autre activité, du dessin, et demande à son frère de lui prêter ses feutres. Face au refus de son aîné, Milieu se met à bouder et bientôt les enfants se taquinent à coup de gnagnagna si-tu-me-prêtes-pas-ci-je-te-prête-pas-ça… Oulala… ça va tourner au vinaigre… allez, les garçons, non, on fait un effort pour s’entendre, pour passer un bon moment, hein!

Me voilà poussée, malgré les doux rayons du soleil, dans le sombre rôle de juge et partie, en Salomon de mauvaise volonté qui doit tenter la médiation familiale - Chéri, tu peux prêter à ton frère les feutres mais mon doux il faut d’abord demander tu sais ça aiderait vraiment pour qu’il s’occupe et qu’on continue la partie - puis la négociation Pince-mi Pince-moi sont dans un bateau - et pourquoi tu ne prêterais pas tes feutres, ton frère te laisse souvent jouer avec ses Legos - pour terminer sur l’arbitrage - bon, les enfants, cinq minutes chacun?

Ça rate. Grand ne veut pas, Milieu ne veut s’occuper à rien d’autre qu’à dessiner, je n’arrive pas à me faire entendre. Des nuages ont commencé à obscurcir le beau bleu d’une journée de vacances. Il n’est même pas neuf heures. Je change de stratégie et m’échine à leur proposer des jeux de société à faire ensemble ou séparément, une partie de cartes, Milieu, tu veux essayer ce nouveau jeu de construction et avec ton frère on joue aux échecs, ou l’inverse, un Uno, un Memory, un Puissance 4? En 10 minutes, j’enchaîne les têtes qui disent non, les bides et les soufflets. Les cartes volent, les billes de bingo roulent, les dés sont jetés.

Je suis comme un clown au milieu d’un règlement de comptes.

Au bout d’un moment, je comprends que ça ne sert à rien. Je n’arrive à rien d’autre qu’à souffler sur le feu. Fatiguée, j’assène, de mauvaise humeur, alors que je viens de proposer encore deux nouveaux jeux que j’ai sitôt sortis sitôt rangés:

- Bon, allez ça suffit, là! Ça fait une demi-heure que je sors des jeux pour les remettre dans les boîtes, on est censés s’amuser et on ne s’amuse pas du tout! Donc, tant pis, vous vous débrouillez.

Je les plante dans la salle de jeux et vais porte à côté, dans ma chambre. Il ne doit pas s’écouler trois minutes avant que percent de nouveau les rayons du soleil et que j’entende les petites voix flûtées se mettre d’accord, tranquillement, immédiatement, échafauder des plans et sauter main dans la main dans le jeu. Je viens de passer une demi-heure, le parapluie ouvert pour essayer de ne mouiller ni l’un ni l’autre et leur éviter des déconvenues. Mais en réalité, je leur faisais de l’ombre. Au mieux, je ne servais à rien, au pire je sautais à pieds joints dans le plat de leur dynamique fraternelle.

Dans ma chambre, il y a moins de soleil, mais mon cœur s’est rasséréné et réchauffé. J’ai même un petit temps tranquille pour moi, le temps de boire mon café que j’ai laissé dans la salle de jeux. J’y vais, j’y reste quelques douces secondes à écouter mes fils jouer ensemble, avant que Milieu, de sa petite voix pleine d’amour, ne me rappelle à l’ordre:

- Maman, tu peux t’en aller, s’il te plaît?


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