Déjà
Batailles choisies #573
Mon Milieu a soufflé ses cinq bougies, l’occasion pour moi de souffler depuis le creux de ma main mes plus belles platitudes. 🍃
C’est une journée particulière. Beaucoup de bruit et d’agitation autour de moi me font paradoxalement entrer dans une parenthèse réflexive. Pourquoi j’écris ce blog, déjà? Alors que cette année, j’ai beaucoup de cours et peu de temps. Pourquoi je me bats pour garder cet espace à moi quand il serait plus simple de vivre au rythme de la famille, de vivre dans le bruit et les cris, d’accepter qu’ils tuent ma petite voix intérieure.
Pourquoi? Dans mon écriture, j’essaie de cerner les difficultés d’être mère sans en omettre les joies, grandes et petites, que je peux ressentir à vivre quotidiennement ce rôle ingrat. J’essaie de le faire avec subtilité, nuances, d’être là où on ne m’attend pas, de décrire le quotidien dans tout ce qu’il a de plus banal, car le banal, comme l’intime, est politique. Je cherche à faire passer, à travers mon blog, le sens des injustices immenses qui nous étouffent, nous écrasent, tout en donnant l’impression que c’est toujours de notre faute, à nous les mères, et que nous n’en faisons jamais assez. Mais je suis loin d’être la seule à analyser les oppressions capitalistes et hétéropatriarcales. Beaucoup d’autres voix le font mieux que moi, avec plus de rigueur scientifique, avec une portée bien plus grande. Pourtant, il y a une telle singularité dans chacune de nos vies de mères… J’ai envie de faire entendre ma propre voix. Je pense avoir ma place en décrivant la frustration du panier de linge sale qui déborde, les sorties galères qui resteront gravées comme des souvenirs pleins de bonheur, l’impression de ne pas réussir à faire grandir droit un enfant de sept ans, le sentiment de se retrouver, tous les jours, face à un mur.
J’essaie d’écrire une chronique sincère qui ne se lit pas ailleurs, certaine que ça importe, dans l’acharnement.
Je repense aujourd’hui, en cette journée particulière où nous fêtons les cinq ans de Milieu, à ma vie, il y a cinq ans. Je me revois, à Viña, où nous habitons à l’époque, avec un terrible two et un nourrisson. Je me revois, souvent empreinte de tristesse, de résignation: j’ai le sentiment que ma vie est bien moins douce et heureuse que celle que j’ai eue jusqu’à maintenant, que celle que j’imaginais avoir. Je n’aime qu’à demi ma vie, sans savoir si c’est parce que mes enfants sont encore petits ou si c’est parce que ma vie ne sera jamais mieux que ça. Je vis avec une incertitude et un sentiment d’échec qui me pèsent.
Aujourd’hui, sous la pluie de ballons d’anniversaire, depuis notre jardin, sous un beau soleil, maintenant que je vois comme mes enfants grandissent, devenant moins aliénants, que j’aime mon travail, que mon seul regret est que je n’ai pas plus de temps pour écrire, je me dis que vraiment, elle semble loin, cette vie de Viña, au bonheur incertain, indécis. Elle semble aussi loin que le bébé calme de l’époque l’est du Milieu hurlant de rire et sautant partout que je vois là-bas, parmi ses amis.
J’ai beau cherché à écrire dans ma voix singulière, tracer mon propre chemin, me voilà bien obligée de regarder mon fils, et de me dire, comme tout le monde: oh, comme ça passe vite! Il a déjà cinq ans!
Déjà!