Écrire mais…

 

Batailles choisies #610

Quand on veut être écrivaine, qu’on a trois enfants et une vie professionnelle, écrire est un cruel mirage, là-bas, encore un peu plus loin, encore un peu plus demain… 🏝


 

Je ne rêve que d’une chose

Écrire


Ce rêve me fait miroiter ses promesses mais…

Écrire? Oui, après…

Écrire? Oui, demain…

Écrire? Oui, un autre jour…


Je vis avec

L’impression que mon écriture, c’est pour après

Après le déjeuner

Après la première année de crèche de Dernier

Après la deuxième et dernière année de crèche de Dernier

Après une lessive

Après une autre lessive


Je suis lestée de

L’impression que mon écriture, c’est pour demain

Demain quand les enfants pourront jouer tout seuls

Demain quand j’aurai terminé de préparer les fournitures scolaires pour la rentrée

Demain quand Dernier dormira enfin des nuits complètes


Me dévore

L’impression que mon écriture, c’est pour un autre jour, une autre fois

Dès que le dîner sera prêt

Dès que j’aurai trié les vêtements et les jouets

Dès que Mari s’arrangera pour me donner le temps d’écrire

Dès que j’aurai terminé cette paperasse


Je vis avec et je m’en suis accomodée, de cette écriture des interstices. Aujourd’hui, pourtant, elle me pèse terriblement, parce que j’ai l’impression que l’oasis tant attendue, tant espérée, tant fantasmée, n’est qu’un mirage qui se dérobe à ma patience et à ma résignation.

J’ai passé les huit dernières années de ma vie à jouer des coudes dans nos vies à tous afin de trouver du temps pour écrire, m’asseoir devant mon ordinateur avec la douceur de sentir que c’est ce que je veux et dois faire, défi de plus en plus difficile, à mesure qu’un enfant s’est transformé en un enfant et un travail à mi-temps, à mesure qu’un enfant s’est transformé en deux enfants et un travail à trois-quart temps, à mesure que deux enfants se sont transformés en deux enfants, une pandémie et une grossesse, à mesure que deux enfants en pandémie sont devenus trois enfants, dont un tout le temps malade, et un boulot à plein temps. 

Pour les prochaines deux semaines, miracle, eau fraîche dont on peut se délecter d’avance de boire à pleines mains, j’ai bidouillé, de mon mieux, avec les cartes que j’ai en mains, les conditions pour écrire: 1) ce sont les grandes vacances, 2) mes cours sont prêts pour la rentrée 3) Grand et Milieu sont chez Abuelita, 4) Dernier sera le matin à la crèche pour deux petites semaines. J’ai très exactement 10 matinées pour écrire, travailler à mon deuxième roman, lui donner le coup d’éperon dont il a besoin.


Après cette dernière crise de larmes qui me siphonne mon énergie

Demain

Dès que Dernier est à la crèche


Soirée catastrophe, pleurs jusque tard dans la nuit, enfant récalcitrant, déjà les quelques heures de ma première matinée d’écriture me semblent étiolées d’avance par la fatigue et le découragement

Matinée de grand retour à la crèche pour la dernière quinzaine de sa vie, qui commence terriblement mal, pleurs, cris, hurlements de désespoir

D’aller jouer avec ses petits amis

Et je rentre à la maison

Pour écrire

Dès que j’aurai retrouvé une contenance

Dès que j’aurai enlevé les années de fatigue de mon front plissé

Dès que ma culpabilité et mon attente inquiète que la crèche m’appelle pour me dire que non, vraiment, il pleure trop, que non, vraiment, il faut que je le récupère, se seront envolées.   


J’avais tout prévu pour écrire, mais je suis assise et épuisée, face à mon ordinateur, à chercher une liberté qui ne vient pas. Elle me coûte cher, cette liberté, elle est abrégée avant d’avoir été commencée, elle est entamée avant d’avoir été croquée.


Vais-je pouvoir écrire? Où est-elle ma vie d’autrice? Où est-elle passée?


Comment vivre quand

Écrire 

N’est que

La dernière dernière dernière chose

Quand j’ai terminé tout le reste

En bout de course

À bout de souffle

In fine

En fin de compte

À la fin des fins

La dernière ligne droite

In cauda venenum

Écrire

Dès que

Après

Demain


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣