Le siphon
Batailles choisies #94
En deux mots:
La volonté selon Descartes ou selon Nietzsche? Mieux: la volonté selon Maman.
Ces derniers jours, je suis complètement siphonnée, vide d’énergie et de volonté.
Je regarde (je crois que c’était aujourd’hui mais les jours se confondent) les enfants faire n’importe quoi comme le font les enfants: prendre des spatules de cuisine et les utiliser comme des pelles dans le jardin, boire de l’eau ou s’en renverser sur le pull, je ne sais pas quel était l’objectif réel de cette activité, se lancer des feuilles mortes et bientôt des bâtonnets et bientôt des petits cailloux dessus.
Je dis “je regarde” mais des yeux absents qui ne se posent nulle part, ça ne s’appelle pas “regarder”. J’ai comme une bulle autour de moi qui fait que tout me parvient lentement, comme dans une glue transparente. Je mets un temps fou à réagir, je n’ai aucune énergie, j’ai l’impression de subir les journées passivement, d’attendre qu’elles passent au lieu de les passer avec les enfants.
Cela fait longtemps que j’aurais dû enlever ce tournevis avec lequel joue Petit.
Que j’aurais dû exiger qu’on mette des chaussures.
Que j’aurais dû interdire les jeux d’eau dans ce froid.
Que j’aurais dû intervenir avant que le paquet de spaghettis finisse renversé sur le sol.
Que j’aurais dû servir le fromage au déjeuner au lieu de moâ, moâ, d’accord! toi tout seul parce qu’alors le fromage râpé a fini haut comme un terril dans l’assiette.
Intervenir, prévenir la bêtise, intercepter avec fermeté, voilà ce que j’aurais dû faire au lieu de les regarder d’un air absent, naïf, comme si je ne savais pas où ça allait nous mener tous. J’éprouve une telle lassitude, une telle fatigue que c’est dans mon corps que je ressens et comprends ces lointains cours de philo de prépa.
Je comprends bizarrement aujourd’hui où je ne l’ai pas ce qu’est la volonté, je revis des cours ésotériques où on parlait d’impulsion, d’énergie. Il faut un mouvement de l’âme, de l’intérieur vers l’extérieur, pour agir sur le monde, il ne faut pas, comme moi, avoir une âme éteinte incapable de mouvement, une coquille vide.
Si j’avais su, en khâgne, que devenir maman allait me replonger dans les idées de ces messieurs philosophes!
