Dernière goutte

 

Batailles choisies #596

Dernier, mon der des der, et les maladies de crèche: où pourquoi élever un enfant de moins de trois ans et travailler est (quasi) impossible. 💧


 

Dernier a une tête à être malade. 

Mari a une tête à partir acheter des allumettes.

J’ai une tête de soupir éternel.


Les maladies de crèche, je n’en peux plus. Vraiment. C’est la raison principale qui me fait ne plus vouloir d’enfant. C’est parce que je ne supporte pas ce visage semi-fiévreux et les emmerdes qui vont avec que je peux dire avec certitude: Dernier sera notre dernier. Mon drame intime qui me prend en tourbillon (comment on va faire, et Mari, et on va encore s’engueuler, la tension va monter de quatre crans d’un coup) se double à chaque fois qu’un enfant est malade, d’une piqûre de rappel, drame sociétal: travailler et s’occuper d’un gosse de moins de trois ans sont incompatibles. Non. On ne peut pas faire les deux. On se met une pression terrible, on se trouve dans des situations inextricables, on souffre et on doit se taire - ou on devient fou.


Dernier, donc, a une tête à être un peu malade, à couver un peu quelque chose, à être à une heure, ou un jour, de faire une fièvre à 39º. Le problème, c’est que ni moi ni Mari n’avons de jour enfants malades. Si on rate le travail, on est ponctionné de nos paies. On n’est pas les plus malheureux, mais pour un mauvais rhume, quelle angoisse….  


Mari s’est chargé depuis l’entrée à la crèche de notre dernier-né, de tous les épisodes de virus ou presque. Il s’arrange, fait ses réunions en visio, prend le tousseur chez sa mère, travaille de là-bas, et régulièrement, pète un câble. Car le nombre de fois où, même si ma belle-mère s’occupe de Dernier, le petit réclame son père, l’empêche de bosser, le coince dans une situation horriblement inconfortable qui le pousse chaque fois plus au bord de l’abîme, tout près de la mer de colère, du gouffre des chaudes larmes, de la montagne de récriminations. Je vois la tête de Mari, qu’encore, Dernier va être malade, encore, alors que le printemps est dans deux jours, encore c’est pour ma gueule, ne pas travailler, faire semblant de ne pas être dispo en réunion. Si ça lui retombe encore une fois dessus, ça va être la dernière goutte, pour lui, pour nous.


Allez, l’envoyer un peu shooté, qu’est-ce qu’on va faire d’autre. J’attends que Mari tourne le dos et je dis à Dernier, tiens, prends un médicament, on verra combien de temps il peut rester à la crèche. Dernier, gentiment, s’exécute - il a l’habitude, le petit chou. Allez, une dernière goutte, mon Dernier. Dans mon cœur, dans ma tête, ça me rend malade: mon gosse n’a pas besoin d’un médicament. Il a juste besoin de rester quelques jours à la maison. Et qui sait ce qu’il y a dans ces médicaments? Qui sait quels sont les effets à long terme de ces trucs dont je bourre mon fils, non pour son bien, mais pour la survie de ses parents?  


Marre de ce monde où il faut produire, travailler, travailler, où on nous presse comme un citron, où on nous presse jusqu’à la dernière goutte, pour tirer tout notre suc, pour faire tourner la machine. Marre que ce monde ne soit pas tourné autour des enfants: il a besoin de ses parents, pas de paracétamol. Marre d’envoyer son enfant malade à la crèche, juste pour faire ses heures.


Au compte-goutte, les années passent et ces problèmes-là avec elles. Mais la culpabilité, non. Elle, elle stagne.


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