Batailles choisies #476
Un baume au cœur lorsqu’on fait ses valises après de douces vacances: parler de nos problèmes, plonger dans nos doutes, couler dans nos soucis… pour sortir la tête de l’eau trouble. 🧳
C’est le dernier jour de nos vacances en France. Notre avion décollera à presque minuit ce soir. Ça faisait trois ans que je n’étais pas venue. Ça faisait longtemps que je voulais que mes enfants connaissent la France, la gardent dans leurs souvenirs, sachent où habitent leurs grands-parents qui vivent si loin. Ça m’a fait un bien fou, d’être là, de vivre ça avec mes enfants.
Minuit, c’est loin et c’est proche. Chaque heure de la journée passe avec sa normalité tranquille, avec sa routine des sorties et des repas qu’on a définis pour notre parenthèse estivale et dont on s’est si parfaitement accommodés qu’il nous semble avoir toujours vécu ainsi. Comme chaque heure est lourde, pourtant, loin de la légèreté des dernières semaines! Je passe ma journée à soupirer. J’ai le cœur grevé, terriblement. Tout ce que je regarde, les hauts arbres d’un vert d’été de la promenade tout à côté de chez mes parents, le lac aux reflets chatoyants où nous sommes allés quotidiennement, les cimes des bouleaux du bois voisin que les rayons de soleil traversent avec délices, toutes ces couleurs riantes sont teintées de plomb. On repart aujourd’hui, on reprend le cours de notre existence, travail, école, crèche, famille trop lointaine, disputes, marathon quotidien, tunnel et tous les “et caetera” grimaçants d’une vie avec des jeunes enfants.
Minuit, c’est loin, c’est proche et c’est largement l’heure de faire les valises. Mes parents s’occupent des trois petits pour que mon mari et moi puissions résoudre le problème des bagages dans lesquels n’entrent ni ce qu’on veut ramener de France, ni ce qu’on a amené du Chili.
Cœurs lourds et sourires résignés, on commence les tas, le tas pour la valise en soute, le tas pour la valise en cabine avec les vêtements d’hiver, le tas pour ce qu’on ne ramène pas, le tas pour des choses qu’on aimerait ramener mais qu’on ne pourra certainement pas ramener et qu’on laissera sans doute à mes parents pour qu’ils les prennent lors de leur prochain voyage. Les tas grandissent puis rapetissent à mesure qu’on remplit les valises. Il faut dépasser les tas, partir, laisser tomber notre cœur lourd et nous lancer en avant, vers ce qui nous attend, là-bas, en discutant de ce qui vient:
- Et comment tu penses qu’on peut faire pour améliorer les repas? Honnêtement, c’est chaotique, ça ne peut plus durer comme ça. Tu penses que Dernier sera moins malade? Qu’il nous pompera moins d’énergie? C’est sûr qu’il a changé en un mois, il a grandi, il a fait de grands progrès… J’aimerais bien que Milieu puisse rester tout seul chez ta mère, il n’a pas l’habitude d’être sans nous, ça lui ferait du bien. Tu crois que les enfants pourront s’occuper mieux, le soir? Dehors, s’il fait jour, si Dernier sort un peu de sa période touche-à-tout…
Il faut bien partir et quitter la France, en pensées. Il faut bien mettre nos mains dans le cambouis, fuir en avant, s’attaquer à la vraie vie. C’était une douce parenthèse, loin du quotidien, que ce séjour. C’était un moment suspendu. Mais faisons éclater la bulle, c’est vital, laissons couler l’eau iridescente, oublions les couleurs de l’arc en ciel, revenons au marronnasse de notre bouillasse de tous les jours, où il faut se pro-jeter…
Le zip se referme sur notre parenthèse. Nos valises sont faites. La tête, déjà partie, déjà rentrée, lourde d’interrogations, de doutes, de tristesse, a récupéré le poids du cœur, vidé, asséché et allégé.