Publications avec le tag bruit
Otages
 

Batailles choisies #626

Avoir le sentiment d’être complètement prise en otage par son troisième fils. Avoir le sentiment que ça ne s’arrêtera donc jamais.  🧶


C’est la débandade.


Mari et moi avons tenté de tenir les lignes. Pas question de manger un dessert si tu n’as pas fini ton plat de pâtes! Pas question! (Ou au moins cinq cuillères). Et puis pas question de ranger à ta place! Tu prends tes chaussures et ton sac, et tu les mets à l’entrée! Bon, ben, je prends le cartable et tu mets au moins les chaussures. Au moins une, allez!

Sans doute, ayant, Mari et moi, chacun notre ligne, nos forces disjointes plutôt que conjointes n’ont pas pu tenir les deux fronts. Sans doute, plus probablement, ayant, Mari et moi, une fatigue gigantesque, l’énergie nous manque pour faire face à l’ennemi. Sans doute, surtout, Dernier est un adversaire trop redoutable.

Trop têtu.

Trop fort.

Trop énergique, trop battant, trop combattant.


En réalité, je ne sais pas si on utiliser pour décrire notre troisième fils, le lexique de la guerre. Il ne me semble pas approprié, pour parler de ce qui se passe à la maison. Dans ce combat que nous vivons tous les jours depuis plus de trois ans, il n’y a pas d’ennemi extérieur car il n’y a pas d’autre camp. Non. L’ennemi est à l’intérieur. C’est depuis le dedans que Dernier nous fait une guérilla d’enfer et mène une sanglante guerre intestine.


C’est donc la débandade, chaussures qui sont restées dans l’entrée, sac traînant au milieu du salon, résolution parentale écrasée par le tank de la volonté de notre petit Dernier comme de bien fragiles barbelés du no man’s land. Dernier n’a rien mangé, il ne fait, ce soir, qu’alterner entre pleurs et cris, il est insupportable, draine vers lui toutes les attentions et toutes les énergies, il est fatigué sans doute mais refuse d’aller se doucher ou de se coucher, il a faim, à n’en pas douter, mais ne veut rien d’autre que grignoter des cochonneries diverses. Il nous met, tous les quatre, en ce début d’année scolaire pourtant prometteuse, qu’on imaginait plus facile, à terre.   


Pour tenter d’enrayer la machine de guerre, j’essaie tout: la douceur, la patience, les câlins, les discussions, la fermeté, la négociation, rien ne marche. Les cris, les hurlements, les caprices, sont plus forts. Le volume sonore déploie son efficacité d’arme: il pleure tellement, il crise tant, que la maison bourdonne, que nous n’avons de choix que Charybde ou bien Scylla - le laisser pleurer dans un coin de la maison, fermer les portes autour de lui, et souffrir les lointains sanglots qui durent; ou le prendre dans les bras, le rassurer, et se faire hurler dans les oreilles, pour un temps sans doute plus court, en finissant avec les tympans en berne.


Je suis fatiguée que Dernier tienne en otage, avec sa mauvaise humeur, avec ses caprices, toute la famille. Je suis fatiguée de ne pas savoir pourquoi il pleure. Je suis fatiguée de vivre avec l’impression, au mieux de négocier, au pire de capituler. Ce soir, il a voulu faire une sorte de parcours d’équilibre en sautant (ce qu’il n’a pas le droit de faire) sur les meubles du jardin mis bout à bout (ce qu’il n’a pas non plus le droit de faire). Épuisée, je le laisse à ses jeux - tant qu’il ne pleure pas, je prends. Je ne peux pas ouvrir un nouveau front. 

Dernier réussit avec brio son numéro d’équilibrisme. Je le félicite, mon p’tit cœur de maman se réchauffe à peine, qu’il me hurle “applaudis-moi” d’un air furieux, première fois, deuxième, troisième. C’est donc dans une dictature que nous vivons, où nous en sommes réduits à suivre Staline en miniature, à applaudir à tout rompre, acteurs de la félicité parentale soviétique?

 

L’heure de dormir arrive enfin. J’ai déployé toute ma patience, toutes mes stratégies, pour arriver jusqu’au coucher, vivante, avec des enfants vivants. Dernier m’a pris toutes mes forces. Je m’occupe des petits, sais que la lecture terminera vite et que le dodo fera enfin tomber le silence. Sauf que, quand je répète pour la troisième fois que Milieu, il faut se mettre en pyjama, et que, tout à l’excitation de lire bientôt son nouveau livre sur les camions, il lambine, alors je me fâche fort sur lui, qui traîne, qui ne fait jamais ce qu’on lui dit. Oui, il lambinait, mais enfin, pas plus que ça. Non, ce n’est pas sur lui qu’aurait dû s’abattre ma colère, mais sur le terroriste tout nu qui pleure dans la douche parce qu’il ne veut pas sortir.  


Ce n’est pas juste pour nous, ses parents, ni pour ses frères.

Nous sommes à sa merci, les mauvais soirs, où tout tourne autour de lui, où rien n’existe d’autre que la peur qu’il tombe dans une autre crise.

Il y avait eu du mieux, en début d’année, et puis les terrible twos sont devenus des worse three

Attendons. Que ça passe. Qu’il nous oublie. Qu’il trouve d’autres proies, ou d’autres rançons. 


C’est pour quand, un peu de liberté? 

C’est pour quand, la libération?

Par pitié, lâchez-moi.

Relâchez-moi.

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Grande criade
 

Batailles choisies #504

Les soirs de hauts cris blessent les oreilles et le cœur…  🫢


 

C’est la grande criade d’une soirée difficile

Un soir où tout le monde pleure, crie, se fâche, hurle 

Jus renversé - engueulade

Chaussures dans l’entrée - débandade

Disputes pour un jouet - escalade

Coups de pied à son cadet - tornade

C’est la grande criade et mes oreilles bourdonnent et ma bouche résonne et mon cœur tâtonne

Ce soir, grande braderie!

Je brade! Je brade trois enfants! Je les brade un à un!

Je brade Grand qui nous met dans la panade à refuser tout net de faire ses devoirs

Je brade Dernier qui a préparé, de mots, de pleurs et de chouineries, une copieuse salade

Je brade Milieu qui se barricade dans ses caprices et enchaîne en pleurant à la cantonade cascades et roulades  

C’est la grande criade et je ne sais pas comment m’en sortir

C’est la grande criade d’une soirée difficile

Où ma patience est en cassonade


Et eux, les trois garnements, que font-ils?

Ils me canardent la bienveillance

Et trouvent que c’est le meilleur moment de plonger 

Dans la grosse marrade des histoires idiotes

Dans la grande poilade des blagues de popotin

Dans des bourrades qui vont mal finir, ils le savent, je le sais

Dans la belle galéjade de répéter tout ce que je dis

Dans la joie de faire entre eux de scatologiques rodomontades

Dans de folles pantalonnades et grand-guignolades

Terribles mitraillades pour une maman qui n’en peut plus


C’est la grande criade d’une soirée difficile

Alors que je ne rêve que de ballades, d’aubades et de sérénades

Que j’envie la vie fade que j’avais avant

Avant quoi?

Avant les enfants bien sûr

Avant les disputes et les empoignades

Avant les chamailleries et les brimades

Avant les soirs difficiles, 

Avant les soirs de noyade où d’amour maternel je n’ai que la façade

L’amour maternel, quelle mascarade!


À moins que…

L’eau qui coule puis

Le murmure

La respiration douce

Les bouches qui baillent

Le silence


La grande criade est finie et l’heure est venue de la désescalade

L’amour maternel sorti 

de sa rade

C’est l’heure des câlins, des dodos, 

Des accolades

Des embrassades

Des pommades

C’est l’heure où l’amour maternel

Jase muettement

Hurle en silence

Crie sans bruit

L’heure où la criade n’est plus

Où finalement la soirée n’était qu’une ballade

De plus

Où, fatigue, amour, pardon, raison,

C’est le moment de la 

Dégoulinade.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣