Batailles choisies #630
Difficile de faire une leçon de morale à ses enfants quand on a envie de pouffer de rire. 🫠
À la table du dîner, Mari laisse tout loisir à sa frustration.
Allez, le dos droit, levez les coudes, parlez pas la bouche pleine! J’en ai vraiment marre que vous vous teniez comme ça! Et puis j’en ai marre de vos conversations!
Ça suffit, les histoires de pipi caca prout!
Le dîner, comme trop souvent, est chaotique. Les enfants ne tiennent pas en place, ils répondent à toutes nos questions intéressées par des blagues idiotes, des remarques de p’tits malins et des histoires de caca prout.
C’est vrai que c’est pénible.
- Grand, tu as bien aimé, le yoga?
- Oui, on a fait la position du caca, celle du pipi et la montagne des prouts prouts.
- Mais Grand, on te pose sérieusement une question parce qu’on est intéressés! Bon, laisse tomber. Et toi, Milieu, tu as retrouvé des copains au foot?
- Oui, Maman, j’ai retrouvé mon ami Prout et j’ai joué dans l’équipe des Cacas.
- Oh la la, et toi, Dernier, tu as fait les activités de l’école, aujourd’hui?
- Diego a fait caca.
- Quoi?
- Diego était malade. Il a fait caca dans la salle.
- Ah bon?
- Oui.
- Bon, mais le pauvre, s’il est malade…
Le dîner reprend son cours, on tente de s’écarter des conversations de bas-étage et de bas-corporel. Mais bientôt, la vie avec les enfants se réengage dans le caniveau.
Cue le coup de gueule de Mari.
J’en ai marre de vos conversations!
Ça suffit, les histoires de pipi caca prout! Les Monsieur Prout, et le Roi du Caca, et tous les sobriquets idiots que vous vous donnez! Il faut être sérieux aussi! On ne peut pas s’appeler comme ça! Non, on ne peut pas se traiter de Caca! Et puis à table, marre de ne pas avoir un repas…
Dernier interrompt à ce moment-là la leçon de morale et se lance dans une explication abracadabrante: Diego était malade et a fait caca dans la salle. La maîtresse l’a amenée dans la salle d’à côté parce qu’il était puni. Oui! Il avait vu un camion, un camion de glace!
On avait tous le nez plongé dans notre assiette, attendant que la tempête paternelle passe. Maintenant, on doit continuer à baisser le nez… surtout qu’on ne peut pas lui rire au nez lorsqu’il est, ainsi, en colère, non!
Sauf que Dernier et son verbiage d’enfant nous chatouillent les narines… ne pas rire, ne pas rire, ne pas rire...
Mari tente de revenir au calme, en étouffant le sourire qu’il sent poindre lui aussi:
- Jamais vous ne devez vous appeler par ces surnoms ridicules! Jamais!
- Papa, Papa, il y avait un camion, et un enfant a fait caca dans le camion, mais après on est allés manger une glace, oui!
Les rires nous montent au nez plus que la moutarde dans la vinaigrette, les sourires nous débordent des lèvres pincées. Mari tente le tout pour le tout:
- Non, mais imagine, ce genre d’histoires, on ne se moque jamais d’un camarade comme ça, qui était juste malade en classe! Ça peut te suivre! Toute la vie. Toute la vie, tu imagines si on se moque de Diego! Moi, j’ai eu un camarade, qui a eu un papier toilette coincé dans son pantalon et jusqu’au lycée…
Dernier interrompt une dernière fois avec beaucoup d’enthousiasme la leçon de bonnes manières pour participer à la conversation, de sa voix haute et claire: dans les toilettes de l’école, il fait caca, mais quand j’y suis allé il n’y avait pas d’enfant, parce que tout le monde était parti. Moi aussi, mais j’avais pris mon camion avec moi, le camion de glace. Et Papa, quand est-ce que tu m’achètes un autre camion s’il te plaît?
La tempête est passée. Avec nos rires reviennent le soleil, avec nos rires travaille Dernier, qui continue sa logorrhée, en nous montrant ses belles dents blanches, et sa tête de p’tit gars qui comprend tout et sait nous mettre dans sa poche comme il veut.