Batailles choisies #629
Il existe de plus jolis bruits que des oiseaux, des notes de harpe ou de rires de bambins: ceux des casseroles qui sont rangées dans la cuisine. 🥣
Qu’entends-je?
Qu’est ce doux bruit?
Il est un peu avant sept heures du matin et la maison résonne, non de pépiements d’oiseaux, ni de voix enchanteresses, ni même d’éclats de rire cristallins d’enfants de publicité.
Me parvient depuis le bas, alors que je m’éveille, comme tous les matins, dans le lit de Dernier où j’ai fini par arriver dans le dernier tiers de ma nuit, un vacarme de cuisine.
Cling.
Clang.
Ruit.
Fram.
Poum.
Klonk.
Clic.
Je me lève doucement, en essayant de ne pas réveiller Dernier et descends voir ce qu’il se passe dans la cuisine.
Grand, déjà habillé pour l’école, est en train de vider le lave-vaisselle. Comme il a la discrétion d’un éléphant et la délicatesse d’un bal musette, il ouvre les tiroirs à grand renfort de gestes larges, pousse la chaise en la faisant hurler sur le carrelage pour monter et ranger les verres en hauteur, fait tinter l’orchestre des couverts, tout en mettant la table du petit déjeuner.
Il m’accueille avec un grand sourire:
- Bonjour Maman!
- Bonjour, mon grand! Tu as bien dormi?
- Oui, oui.
- Tu es très efficace, ce matin, dis-donc!
- Hmm, acquiesce-t-il.
Est-ce la musique divine que j’entends? Est-ce le signe auditif du miracle? Non, bien sûr, c’est la musique féministo-machiavélique de Maman, à la fois fine et lourde, moderne et arc boutée sur ses exigences.
Je vous explique: cette année, j’ai décidé d’obliger mes garçons à participer aux tâches ménagères. Ils ne font rien sans qu’on leur demande. Ils ne mettent la table que si on les menace, ne font leur lit que si on leur crie dessus, ne débarrassent jamais le dîner et ne voient pas du tout pourquoi ils devraient ranger les chaussures qui trainent dans l’entrée. Alors j’ai réfléchi, je me suis dit qu’il fallait trouver un moyen de les faire coopérer davantage à la maison sans que je m’épuise à crier, râler, abandonner (et me sentir coupable). J’ai réfléchi et je me suis dit que je n’avais qu’un moyen de pression: la télé. Pas de tâches ménagères, pas de télé. J’ai fait une liste des choses qu’il peuvent faire à la maison, faire leur lit, vider le lave-vaisselle, faire du rangement, faire une lessive, du jardinage, mettre ou débarrasser la table. Chacune de ces tâches est associée à un nombre de points, plus ou moins élevé en fonction de la difficulté de la tâche (le jardinage vaut plus cher que mettre la table). Ces points deviennent, le week-end, des minutes de télé.
La première semaine, les enfants ont boudé et boycotté le système. Et puis le week-end est arrivé et ils ont compris qu’ils regarderaient dix minutes le samedi et quinze le dimanche. Mari et moi avons fait tout un pataquès de “ben oui, vous voyez, ce que ça veut dire pour vous, il faut apprendre à faire votre part, ici c’est pas un hôtel et tout le monde doit y mettre du sien pour vivre en communauté”.
Nous en sommes au milieu de la deuxième semaine et Grand s’est désormais lancé à fond dans le chantage (ou devrais-je dire “apprentissage”?) maternel. Il réalise ses tâches ménagères sans râler… mais avec stratégie: il a compris qu’en exécutant les trois premières de la liste, “faire son lit”, “vider le lave-vaisselle” et “mettre la table”, du lundi au vendredi, il aurait une bonne tranche de temps-télé le week-end. Il se lève donc le matin, s’habille rapidement et fait tout son raffut pour que les assiettes et que ses points soient bien en place.
Ce matin comme les autres, par conséquent, Grand, après avoir terminé de vider le lave-vaisselle, avance d’un pas décidé et va mettre des coches sur la feuille de papier où les tâches et les points associés sont listés.
Je n’ai pas l’outrecuidance de me dire que ce système va marcher à vie, ni même un mois durant. Ni qu’il va m’épargner les disputes pour le rangement, le nettoyage, le travail domestique.
Mais ce matin, tout de même, je ne peux retenir l’air ravi que provoque cette douce musique des casseroles.