Batailles choisies #472
Vais-je réussir ce soir, quand les enfants seront couchés, à faire *VOUS*SAVEZ*QUOI* avec mon mari? 🍆
Nos regards se croisent. Nos yeux brillent. Un frisson passe et nous emporte, ce frisson de la complicité retrouvée, du temps doux des vacances, de la respiration tant attendue pour notre couple, au milieu des exigences de la vie de famille. Mari et moi savons tous les deux ce que ça veut dire. Quelques baisers ont été lancés en l’air, des mains baladeuses ont glissé, au milieu de rires d’adolescents, sur les épaules, le bas du dos, les fesses. On sait que le désir s’est glissé dans nos plans de la journée, attend qu’on le prenne à bras le corps, ce désir qui nous picote le ventre, qui nous fait monter des fourmillements depuis le bout des doigts de pieds, qui s’empare de la plante des pieds, des talons, qui caresse le mollet et gagne les genoux puis les cuisses et irradie de plaisir anticipé l’aine jusqu’au… oh oui! Les regards, les frissons, les baisers posés en suspens, les caresses secrètes, les fourmillements… Oh, vous-savez-quoi, c’est pour ce soir, oh oui!… quand les enfants seront couchés, donc, oh oui!…
Allez, vite, vite, on se dépêche, les enfants, c’est l’heure de dormir, si, si, si!
Oh non! Dernier croit qu’on joue alors qu’on cherche à lui enlever ses vêtements et nous échappe, hilare, ou va se cacher derrière le rideau. Oh non! Milieu est entré dans sa phase alternant chouinerie et mauvaise volonté indiquant, en tirant la langue, qu’il est largement temps d’aller se coucher. Oh non! Grand fait sa mauvaise tête parce qu’il ne veut pas aller se doucher maintenant, alors il perd son temps, à se déshabiller très lentement, à faire des roulades sur le lit et des poiriers contre le mur, à poser des questions sur la tour Eiffel, sur les marques de voiture qu’il y a en France, sur un livre des Schtroumpfs emprunté à la bibliothèque. Grand, ça suffit, à la douche, Milieu, allez, dépêche-toi, non, non, pas de télé ce soir, Dernier, vite à la douche, si, si, pour avoir la tétée!
L’adrénaline nous emporte tous les cinq vers une soirée pourrie, interminable qui, pourtant, annonce son terminus prochain: pyjama-ville, tout le monde au lit, tout le monde descend, tout le monde au dodo. Le frisson qui a couru sur nos peaux toute la soirée est encore là, plus ténu, plus discret, mais il vit, il bat… oh… peut-être…
Oh non! Dernier tète en bougeant ses pieds et en tapant les ressorts du lit d’appoint, promettant un long endormissement. Milieu tourne et tourne sur son oreiller, posant quelques questions à son père qui est assis tout à côté de lui. Grand, qui est soit sévèrement enrhumé, soit sévèrement allergique, n’arrête pas de renifler. Une accalmie passe… oui… peut-être que ça va bientôt s’arrêter… Nos regards se croisent dans la semi obscurité. J’ai Dernier accroché au sein. Grand gigote dans son lit, parle à voix haute en tentant de murmurer. Milieu est avec son père, surveillant d’un œil qu’il ne parte pas, luttant de son mieux pour ne pas fermer l’autre. Je ressens passer un frisson qui me prend par les épaules, va-et-vient sur la nuque - pas le frisson du désir, non mais celui de la fatigue, qui se tapit jusqu’à 21h30, qui fait croire qu’elle n’est pas de garde ce soir et qui, pile au moment où on pense être sortis du tunnel bain-dodo, nous ramène à elle, nous tire vers son puits profond. Les frissons laissent bientôt place à l’engourdissement. Nos yeux ont perdu de leur joie, de leur lumière, nos paupières sont lourdes, nos têtes aussi. Ce soir, va-t-on… tout de même…? Grand se lève une fois pour se moucher, revient en sautillant sur son lit, se met instantanément à renifler. Milieu se met à battre doucement des jambes sous les draps, Dernier a arrêté de bouger, mais ses yeux sont encore ouverts. On ne va jamais y arriver… L’énergie que j’ai eue toute la journée, le désir de vivre, de rire, de bouger, le désir tout court, ont quitté, d’un seul coup, par siphonnage, mon corps.
Notre insistance (ou emprisonnement) a fini par payer: les trois enfants dorment. Mari et moi nous levons et allons dans la chambre communicante, notre petit havre de paix et d’intimité. Nos regards ne se croisent pas, mais on se comprend: on avait dit qu’on se préparerait un petit cocktail, Mari va se doucher, je prépare rapidement deux verres de Martini avec beaucoup de glaçons (à cette heure-là, tout s’appelle un cocktail), que je pose sur nos tables de nuit respectives. Je m’endors à demi sur le lit en attendant mon compagnon. Un intense fourmillement m’envahit, commence par le dos, les cuisses, les mollets, me rappelant que la balade à vélo du matin était bien sportive.
Mari sort de la douche, fumant et cerné. On échange un sourire fatigué. Assis côte à côte sur le lit, on trinque et on va essayer d’avoir un petit temps à nous, oh oui, non?
Le tintement, sans doute, réveille Dernier, qui se met à pleurer et qu’il faut aller consoler. Mari se lève et revient.
Une gorgée et de nouveau un bruit d’oisillon. Je m’y colle, reviens relativement rapidement. Mari somnole, je le caresse doucement pour l’éveiller à moi et à notre promesse.
On entend Grand se lever pour se moucher très bruyamment.
On attend pour voir si mon éléphanteau de fils va réveiller ses frères.
Rien.
Des respirations qui s’installent, un épuisement qui ne part plus. Les minutes passent, les glaçons du Martini fondent. Un agréable frisson de l’air nocturne de l’été passe et nous caresse l’épaule avec bienveillance.
Couchés l’un près de l’autre, à demi endormis déjà, on échange un regard et on partage un faible sourire qui veut dire, dans le silence de la chambre, ben oui, évidemment, c’est comme ça. On se dit bonne nuit, main dans la main? Oh oui!