Batailles choisies #603
Habiller un enfant de deux ans qui ne veut pas s’habiller - trois fois le même enfer. 🧨
3 fois, j’ai connu l’enfant de deux ans et demi qui refuse de s’habiller.
3 fois.
3 versions du même cercle de l’enfer parental, avec Grand, avec Milieu, avec Dernier. Je n’en peux plus. C’est trop. Trois longues périodes de batailles, de plusieurs mois, presque une année, plus de trois années au total de ma vie. L’enfant de deux ans est têtu. Il dit non parce que c’est délicieux, parce qu’ainsi, il existe. Il secoue la tête et alors s’ouvrent les délices d’un monde dans lequel il a tout pouvoir et possède une puissance qui l’enivre. J’ai essayé, avec Dernier, l’enfant de deux ans et demi que j’ai présentement à la maison, toutes les techniques auxquelles j’ai pensé et, comme toutes les techniques et bonnes résolutions parentales, elles n’ont pas marché plus de 4 fois de suite: l’habiller avant le petit-déjeuner, ou alors juste après le petit-déjeuner, refuser de lui servir son petit-déjeuner s’il n’est pas habillé, lui proposer un choix dans sa garde-robe, lui promettre un biscuit, me fâcher rouge pour arriver quelque part - c’est-à-dire à la crèche.
Enfant de deux ans et demi qui dit non non non, troisième!
Dernier est toujours en pyjama, alors que je dois partir dans cinq minutes, non pardon, alors que je dois partir il y a cinq minutes. Il se cache sous le fauteuil du salon. Avec un grand sourire malicieux, il répond “non” à toutes mes questions: On va s’habiller? On met le pantalon rouge ou le pantalon vert? C’est papa ou maman qui t’habille? Non, non, non. Plus j’insiste, plus il refuse, plus j’avance, plus il se terre dans un recoin dont je ne peux le débusquer. Je dois y aller, j’en ai ma claque, la moindre étincelle va faire partir l’incendie, je me retiens de laisser s’embraser la fureur en moi. Dernier n’y met pas du sien, souffle sur les braises en enlevant le t-shirt rouge dinosaure que j’avais réussi à lui enfiler en le distrayant avec un livre. J’ai envie de cracher du feu, comme un dragon, sauf que je risque de m’enfermer moi-même dans un cercle de feu: partir le matin après une gueulante, forcer son gosse à s‘habiller en frôlant la violence ordinaire, supporter les larmes dans la voiture et dans les bras de la miss, gérer la culpabilité et l’impression d’être une mauvaise mère, tout ça brûle au vif.
Je continue donc à faire preuve de patience ou de résignation, tout en soufflant dans ma tête, en regrettant d’avoir eu un troisième enfant qui me pompe une énergie déjà tarie, en me disant, en trouvant, décidément, que vraiment, Dernier est pire, bien pire que ses frères, non?
Mais non, dans le brouillard du passé, je me rappelle, cette même colère montante, ces mêmes stratégies pour mes deux aînés. Je me revois avec Grand qui ne voulait jamais s’habiller, que j’avais fini par inciter à sortir en lui donnant la responsabilité de tenir dans sa menotte les pièces pour payer le bus. Je me revois avec Milieu, que j’habillais pendant qu’il buvait son biberon du matin et que j’arrivais parfois même à fourrer dans la voiture avant la fin du bib, qui arrivait à la crèche à l’ouverture, sinon je l’avais à la maison sur les bras, et en pyjama, une heure et demi de plus. Non, sans doute, Dernier n’est pas le pire - c’est juste lui qui a la mère la plus fatiguée et la plus pressée. Je ne vois plus mes aînés et nos disputes pour l’habillage, je les ai oubliées, elles sont sous un tas de cendres. Elles se transformeront peut-être en disputes pour des pulls perdus à l’école, pour des t-shirts de marque dont on ne prend pas soin, pour… qui sait?
Ces disputes, prêtes à renaître comme un phénix?
Mais sans doute, ma pauvre dame.
Et même trois fois.