Petit cœur
 

Batailles choisies #592

Il arrive donc, quelques rares fois, alors qu’on ne s’y attend pas, certains soirs qui se comptent sur les doigts d’une main, qu’on se couche avec l’impression de réussir l’éducation de ses garçons. 🧽


La table du dîner n’est pas débarrassée. Les assiettes sales du déjeuner traînent encore dans la cuisine. Le lave-vaisselle n’a pas été vidé. Les repas des enfants pour demain ne sont pas prêts. Il est 20 heures et le bordel ambiant indique clairement que je vais passer ma soirée à ranger et qu’adieu, donc, le peu de temps que je garde encore pour me ressourcer, pour lire et écrire. 

Entre la peste et le choléra néanmoins… 

J’entends en haut Mari qui fait le bain des enfants, je l’entends gronder Dernier parce qu’il s'ébroue dans la baignoire en mettant de l’eau partout, je l’entends négocier avec Milieu s’il peut prêter le bateau à son cadet, ou s’il veut sortir pour se mettre en pyjama, j’entends ces voix fatiguées et je me dis que je préfère qu’il se débrouille avec ça, que, tant pis, je me farcis le rangement de la cuisine. Si je mets un podcast en fond sonore, juste pour avoir l’impression de faire quelque chose d’autre que du rangement et la préparation des boîtes à déjeuner des enfants, je soupirerai peut-être un peu moins fort.


Mes gestes semi-automatiques commencent, empiler les assiettes, ouvrir le tiroir à tupperware, mes pensées passent du déjeuner de l’un aux biscuits préférés de l’autre. Je n’écoute évidemment rien du podcast que j’ai mis, occupée à trouver que ma soirée mériterait d’aller avec les restes de riz - à la poubelle. Soudain, j’entends des pas descendre les escaliers et s’approcher. Je me prépare à montrer mes dents de Cerbère, c’est bon, je suis déjà en mode loose, je vais pas encore en plus…

- Grand, tu fais quoi? Tu dois aller te coucher et…

- Maman, je viens t’aider à préparer mes goûter de demain.

- Ah bon? Ah, ben si tu veux.


Grand commence à mettre de côté les briquettes de jus, les biscuits et les fruits qu’il mangera demain. Je m’occupe de vider le lave-vaisselle pendant que Grand me fait une douce conversation qui ne me demande pas plus d’énergie que je ne peux en donner. Quand Grand a fini sa tâche, il marque une pause et me dit: Maman, je vais préparer aussi mon déjeuner et les repas de mes frères, comme ça, tu auras fini plus vite et tu auras plus de temps pour toi.    

- C’est gentil, ça, Grand. Tu es un vrai petit cœur!


Grand s’attelle à un épluchage approximatif de concombre, à un remplissage inégal de yaourt, à un mélange imprécis de sauce tomate et de pâtes, le tout visant en revanche dans le mille de sa cible de me faire gagner, inespérément, du temps. En moins de 30 minutes, tout est plié, emballé, rangé, nettoyé. Et, en bonus, je me sens même le droit de trouver que Grand est décidément empathique et qu’il grandit bien! Mes inquiétudes sempiternelles, celles qui collent comme du brûlé au fond d’une casserole, celles d’une Maman qui tente d’élever les hommes de demain, et les trouvent malpolis, égoïstes et crades, sont épongées d’un coup


Un garçon qui fait sa part de tâches ménagères! Mon fils qui pense à mon temps, à ma fatigue! Mon fils qui pense à ses frères! Mon fils qui ne tente pas de se préparer un déjeuner de chips et mayo! Peu importe, pour mon esprit de mère plus souvent insuffisamment bonne que suffisamment bonne, qu’il y ait aussi une motivation égoïste à cette aide, parce qu’il préfère un reste de pizza pour déjeuner demain qu’une part de lasagnes aux épinards que j’allais lui refourguer! Mon petit cœur… La soirée s’annonçait mal et me donne en guise de dessert, un petit bonbon doux à sucer… Je sens en moi palpiter un peu de soulagement. 

Grand, si serviable, ça met du baume dans mon petit cœur.

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

La marchande
 

Batailles choisies #591

Permanences et métamorphoses des jeux d’enfants: de l’un à l’autre sans heurts (miracle!) 💶


Dehors, mes garçons jouent à la marchande: ils ont installé les meubles de jardin en demi-cercle autour de l’amandier et ont stratégiquement placé la table basse pour servir de comptoir. A l’intérieur de l’espace ainsi délimité, ils ont fait des petits tas bien propres de ce qu’ils ont à vendre: des ballons de foot, des camions, des pistolets à turfs qu’ils ont pendu aux branches de l’arbre et des pelles (des vraies, chipées dans la cabane à outils de Papa). Dès que Dernier a compris qu’il n’était pas exclu du jeu, mais qu’il était lui aussi marchand, toutes disputes sont laissées derrière les enfants, qui ne font plus que se réjouir de nous vendre tout un tas de trucs.

- Bonjour Madame, est-ce que vous voudriez acheter quelque chose dans notre magasin?

- Ah oui, absolument! Qu’avez-vous à vendre dans votre magasin? 

- Nous avons beaucoup de choses: des ballons, des pistolets, des pelles, même des camions.

- J’aimerais un ballon, s’il vous plaît.

Grand qui, bien sûr, a organisé tout ça, envoie ses commis me montrer la marchandise. Je m’ébahis devant Dernier qui exhibe fièrement ses ballons, Milieu qui conseille les pistolets, celui-ci tire les balles super loin comme ça pffiu, pffiu, Madame Maman. Ils sont trop contents de me servir. Je me sens comme dans Le bonheur des dames de Zola, à regarder les plus belles étoffes, toucher les derniers satins, assise dans un confortable fauteuil de bourgeoisie naissante, servie par d’obligeants employés. J’examine la marchandise, renvoie celle qui ne me convient pas, exige de regarder d’autres pièces, choisis, paie et récupère ma monnaie: des beaux rires éclatants et des yeux qui brillent. 

  

Miraculeusement, il n’y aura pas de disputes entre les joueurs. Les enfants, je rentre, mais vous pouvez continuer, hein!


Du salon, je regarde le jeu continuer un peu puis évoluer rapidement. 


De la marchande, on passe à cache-cache, Dernier ayant remarqué qu’on pouvait enfouir sa tête dans les ballons et se réjouir que ses frères ne le trouvent pas, s’égosillent de leurs voix aiguës pour savoir où est Dernier, mais où est donc Dernier? La partie de cache-cache s’arrête abruptement dès que Milieu prend une pelle de son père pour en faire un pistolet et que Grand crie “Aux abris, l’attaque a commencé!”. Dernier, ravi, court en tous sens comme ses aînés, qui crient de bonheur. Bientôt, heureusement, le traité de paix est signé et Milieu et Dernier utilisent à tour de rôle la pelle pour creuser un trou devant la clôture. Les jardiniers avancent tandis que Grand, devenu décorateur, prend des jouets et les place avec goût dans les feuillages et les branchages. Une partie éclair de chat perché remet à contribution les meubles de jardin. Grand propose ensuite de faire la classe à ses cadets, installant Milieu et Dernier devant lui et leur enseignant des tables de multiplications, qui rapidement, deviennent un concours de bêtises verbales, chacun criant des grossièretés de types caca-prout, tout le monde riant, les trois frères jubilant d’être ainsi à égalité. Milieu ne résiste pas, ensuite, à récupérer les ballons de foot et à taper deux trois balles entre les troncs qui font poteaux, Dernier tentant ses propres penaltys dans le vide, Grand ayant décidé pour sa part d’essayer une nouvelle discipline sportive de foot-volley-basket. 


Il est l’heure de dîner. Ils m’ont fait plaisir à voir, les garçons et leurs jeux, les dynamiques fluides et bienveillantes, fofolles et amusantes. Le jardin est jonché de jouets et de jeux inachevés. Grand, tu commences à ranger? Ah, tu as déjà commencé super! Milieu? Milieu, c’est fini le match de foot, allez, tu as joué, tu participes au rangement aussi!

Comment ça, “non”? 

Milieu, tu n’as rien rangé! Tu prends les pistolets et tu les mets là-haut, et les balles dans le coffre! Si, c’est juste, tu as joué aussi, c’est pas à ton frère de tout faire tout seul! Si, et après tu pourras venir dîner.


Le jeu léger est donc définitivement terminé. 


Il faut revenir à ma réalité de tous les jours: marchander.

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonjeux, frères