Son plus beau jour
 

Batailles choisies #654

Rien de plus laid (ou beau) qu’une photo de son mari en pyjama. 🍐


C’est une photo pour le souvenir, que je viens de recevoir par mail.

Une photo floue, légèrement de travers.

Une photo mal cadrée avec un fond sans intérêt.

Une photo de celle qui crie de toute leur banalité: “efface-moi et oublie-moi!”


Mais quelle photo inoubliable! Ou plutôt, quel diptyque car ce sont en réalité deux photos que je viens de recevoir dans un courriel dont le titre passe-partout et plat, “Merci d’être à nos côtés!”, n’augurait pas l’énorme fou-rire qui me poursuit depuis que j’ai vu ces merveilles.

On voit, dans la seconde image, le coin de notre maison, avec ses murs bistres, son numéro, les plantes décoratives, chétives en plein hiver, un bout de grille et le rétroviseur gris de notre voiture.

On distingue, dans la première image, un homme en pied tenant dans les mains un large paquet noir. L’homme porte un pyjama bleu et anthracite, et de grosses pantoufles grises à pointes rondes, des charentaises en pire, qui ont des faux-airs de sabots. 


J’ai dû relire ce mail plusieurs fois pour savoir pourquoi je recevais cette photo peu flatteuse de Mari. Et puis, j’ai compris…


Cette photo est la preuve indéniable que le paquet a été livré chez nous, dans notre maison avec un numéro, des plantes chétives et des murs gris, de la même manière qu’il est indéniable que c’est bien Mari qui a réceptionné le paquet contenant la couverture en laine que j’ai achetée pour Grand.

Pauvre Mari… il ne le montre pas sous son meilleur jour, ce cliché flou et mal cadré… Il a l’air si blasé de recevoir encore un truc, visage fermé, air las ; si pris au dépourvu, au milieu d’une entrée désordonnée en arrière-plan, sans doute entre deux réunions Zoom, et après avoir lancé une lessive ; si fatigué yeux cernés, visage d’abandon d’être encore en pyjama à 11h30, parce que ce matin c’était le rush avant de partir à l’école et qu’il a décidé de se doucher plus tard, un plus tard qui, colis après colis, n’est jamais arrivé.


C’est donc ça, la vie de père de famille et télétravailleur à un poste important? 

Un jour, Mari assène: Oui, tu passes beaucoup plus de temps avec les enfants mais tu ne te rends pas compte du temps que je passe à m’occuper de la maison, des trucs administratifs, et puis des achats qui arrivent chez nous, hein! Et pas juste un jour, pas une seule fois, non, tout le temps! Heureusement qu’il y a toujours quelqu’un pour réceptionner le poulet, les vêtements, les fournitures scolaires, hein! Je suis bien gentil! Un peu bonne poire, je dirais même!


Je crois que cette photo a été envoyée pour servir de preuve à la patience, au dévouement blasé de mon époux, autant que pour servir de jalon dans l’histoire de notre couple et pour nous faire rire jusqu’à la fin des temps. 

Mari, en pyjama gris et bleu, avec l’air de détester sa vie et sa famille, de regretter chaque décision qui a mené à sa progéniture et aux colis de fruits qui viennent d’un producteur du Sud, si, si, je te jure que ça doit être bien. 

Et les autres photos? Je les attends avec impatience: 

Mari en jogging gris, avec un balai dans la main gauche et deux petits colis enrobés de plastique noir dans la droite.

Mari avec ses vêtements de sortie, réceptionnant deux minutes avant de partir au bureau un pack de 35 stylos effaçables.  

Mari portant son autre jogging gris et tenant trente œufs fermiers avec beaucoup de précaution et de lassitude.

Mari avec son troisième jogging gris posant devant les deux caisses de fruits et de jus d’orange.

Mari avec un t-shirt d’il y a vingt ans, des outils de bricoleur encore brillants d’un travail quelconque de réparation et trois récipients en plastique de pains au chocolat qu’on fait livrer pour nos gourmands de fils.

Mari en pyjama motif de vrai mec (des chiens et des cocotiers), avec un paquet très encombrant de plaques de contreplaquées pour… seul Mari sait quoi.    

Mari avec son jogging vert des grands jours posant devant deux caisses de 17 barquettes de filets de poulet, avec cet air à se demander pourquoi j’en achète tellement (si, en gros, ça nous revient moins cher) et surtout où est-ce qu’il va les mettre si le congélateur est déjà plein.  


Mais, non, Chéri, je ne me moque pas de toi, dans cette photo! C’est juste que… tu es le plus beau jour, l’égérie même de la paternité fatiguée et ça me fait rire! Mari, pour reprendre un titre plat, passe-partout et pourtant si juste: merci d’être à nos côtés! C’est vrai que tu es bien gentil…

Demain, mets ton plus beau jogging, j’ai acheté en ligne un cageot de bonnes poires.

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Miroir grossissant
 

Batailles choisies #653

Nos enfants, miroirs déformés, convexes, concaves, déformants, amincissants, grossissants, de nous-mêmes. 🪞


Dans nos enfants, on se voit, en mieux. Je trouve Grand avec le sens de l’humour que j’aimerais avoir, avec une habileté pour les arts, le dessin, la peinture, que son père envie. Milieu est plus pugnace mais aussi bien plus cool que Mari et moi. Quant à Dernier, il n’est pas du genre à se faire marcher sur les pieds, et il est bien plus adroit, habile, sportif que son père et moi combinés. Les bons jours, Mari et moi regardons nos enfants et les trouvons vraiment réussis. Non, vraiment, nous les voyons prendre notre potentiel, et le faire éclore, le grandir, le mûrir. Ils nous étonnent, même! Les voir nous améliorer, Mari et moi, me fait tellement plaisir, me donne l’impression que, dans le monde, sont entrées tout de même, malgré les difficultés, les angoisses, de belles personnes, de celles qui ont un impact positif.  


Le seul souci, c’est qu’il y a aussi, parfois même surtout, avec les enfants, les mauvais jours.

Il y a d’abord nos petits défauts, mais en pire. Milieu est taiseux et ne dit pas jamais ce qui lui arrive. Dernier est têtu et ne lâche pas une affaire à laquelle il tient. Grand fait un bruit d’éléphant, claquant les portes, tirant la chasse avec le même débit d’eau torrentielle que le fleuve lavant les écuries d’Augias, posant chaque pas avec une délicatesse pachydermique.

Et puis, il y a surtout les gros défauts, les parties qu’on n’aime pas de soi-même associées à celles qu’on n’aime pas de notre partenaire de vie, pour créer un cocktail de dépit et de frustration détonnant. Grand l’empoté, Milieu l’égoïste, Dernier le désagréable.


C’est le plus évident avec notre aîné, parce que c’est celui qui a la personnalité la plus affirmée, bien sûr. Il va sur ses neuf ans, il est une petite personne avec son bagage, ses qualités et ses défauts définissables même s’ils ne sont pas définitifs. Grand, au lieu de regarder le jus que tu as renversé se répandre sur le comptoir sans rien faire, tu peux peut-être prendre du sopalin, hein? Comment ça, tu ne trouves pas ton pantalon? Mais tu as vraiment cherché? Comment ça, tu as eu un jaune dans ton évaluation d’espagnol? Non mais quand on ne sait pas, on ne se contente pas du médiocre, on essaie, on travaille, on apprend le sens de l’effort.  


Qu’est-ce qu’il m’énerve quand il est comme ça! 

En même temps, les chiens ne font pas des chats.

Il faut bien se regarder dans le miroir - autocritique.

Il faut bien aussi savoir détourner le regard - empathie, douceur, compassion.


Allez, parfois, on fait seulement ce qu’on peut, et ce n’est pas si mal.

 

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