Ma meilleure vie
 

Batailles choisies #669

Mes enfants sont occupés chacun dans leur petite vie. Ont-ils donc déjà tant grandi qu’ils vivent leur meilleure vie loin de moi? 🕺🏻


 

Mari a emmené Dernier voir un spectacle à Santiago.

Grand et Milieu sont partis inviter leurs copains de la résidence. 

Il est 10 heures du matin et je suis donc seule à la maison.

Ça y est, c’est arrivé. 

C’est arrivé et c’est incroyable. 

Mes enfants ont une vie en dehors de la maison, ils ont un certain degré d’autonomie et débutent une vie (un peu plus) sans moi. Grand rentre de l’école et va chercher son copain L. pour jouer à la place à je ne sais quoi. Milieu se lève le dimanche matin, enfile sa tenue de foot, met ses chaussures à crampons et claque la porte en disant qu’il va jouer avec A. au bout de la rue. Dernier commence à jouer seul aux Legos en haut, ou bien suit ses frères.

Et moi, je suis à la maison. 

Voilà, c’est arrivé. Plutôt, les choses sont arrivées parce qu’il a fallu un faisceau de changements individuels pour montrer définitivement que oui, c’est le début de ma meilleure vie de mère. Il a fallu que les beaux jours s’annoncent, que les amitiés des garçons se consolident, que les grands nous fassent admettre, ou comprendre, ou au moins accepter, qu’ils étaient capables d’être dehors sans nous. 

Je n’ai pas senti venir ce moment. Il n’y a eu ni ligne d’arrivée, ni décisions, ni conversations, il n’y a rien eu pour me prévenir.

Non, ça m’a même pris de court, j’avoue.


J’imaginais que les choses seraient graduelles, que les changements se seraient faits petit à petit. Que d’abord, je serais à la place avec mes garçons. Qu’ils seraient, ensuite, seuls dans la rue. Qu’ils s’éloigneraient un peu, et iraient dans la rue d’en-dessous. Puis à la place un peu plus loin surveillés par d’autres parents. Mais non, ça ne s’est pas passé comme ça. 

Grand s’est fait des copains et a trouvé des gentilles bêtises à faire à la place (des pièges type Indiana Jones dans un fourré, des collections de cailloux ou de feuilles). Milieu joue à tous les matchs de foot qui se tiennent dans toutes les rues avec n’importe qui tant qu’il y a un ballon rond. Dernier suit.

D’un coup d’un seul, je dis des choses incroyables comme: Grand, tu dois rentrer à 19 heures, ok? Milieu, tu ne peux pas larguer le copain que tu as invité pour un autre parce qu’il joue mieux au foot, non! Tu sors et tu choisis un copain à inviter et tu rentres à 19 heures avec ton frère. Dernier? Il est dehors avec ses frères.


Est-ce que je me sens coupable parce que mes gosses de 6 et 3 ans sont dans la rue avec une surveillance lâche? Bien sûr, petit pincement. Mais… je me sens aussi incroyablement bien, incroyablement libre, incroyablement chanceuse de pouvoir offrir cette vie à mes enfants.

Parce que dans notre résidence sécurisée, les risques sont minimisés. Parce que je suis une enfant des années 80 et 90, qui sortait des heures avec ses frère et soeur dans la forêt, sans surveillance, parce que, moi aussi, j’ai souvenir d’avoir claqué la porte en disant à tout à l’heure et c’était tout.  


C’est une telle chance de pouvoir dire: Où est Grand? Je ne sais pas. 

De pouvoir dire:  Tu rentres à 19h.

De pouvoir dire: Grand et Milieu, vous surveillez votre frère, hein?

De pouvoir vivre une vie plus simple. 

Une vie douce, pour mes enfants, une vie protégée.

C’est ma meilleure vie, où mes enfants ne sont pas toujours avec moi, où mes enfants grandissent avec du soutien sans que je sois responsable de tout, où il leur arrive des aventures extraordinaires à 50 mètres de la maison, aventures qu’ils ne me raconteront jamais et qui constitueront le socle de leur vie adulte, leur happy place, peut-être même.

Il est 10 heures et je suis seule, moi qui ai tant souffert d’être sans cesse bouffée, dévorée, piétinée, par mes gosses.

Il est 10 heures du matin et je bois lentement un café en travaillant.

C’est ma meilleure vie.

C’est aussi, pour mes enfants, le début de leur meilleure vie.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

D’autres parents
 

Batailles choisies #668

Le fossé entre les parents d’un seul enfant se creuse et moi. Attention travaux en cours! 🚧


 

Mes voisins sont tous parents d’un seul enfant de moins de trois ans.

Ils ont des problèmes de vaccins.

Ils ont des peurs liées à l’entrée à l’école.

Ils parlent de recettes de goûter maison.

Ils organisent leur samedi autour d’une activité d’enfant unique, trente minutes de voiture jusqu’à Santiago pour aller à une école de musique très réputée, ou bien une matinée entière avec petit-déjeuner préféré et parc, ou une tradition d’activités manuelles et pâte à modeler.  


Bref, ils planent.

Ils planent complètement.

Ils sont vraiment à l’Ouest - dans le pays des enfants uniques, dans cette contrée des parents d’un seul enfant d’âge pré-scolaire.  

Ce sont d’autres parents.

Eux ont des conversations pleines de certitudes (de doutes masqués en certitude, en réalité) sur ce qu’il faut faire en cas de dispute entre frères et sœurs. Eux ont des conseils. Eux peuvent se consacrer pleinement au développement émotionnel et affectif de leur petit alors que moi, ben, mes enfants, non ils ne vont pas à l’école de musique, ni à la danse classique, ni au parc, non, le foot, ils ont arrêté, qu’est-ce qu’ils font le week-end, eh bien, euh… ils se disputent et ils jouent dans la rue.   


C’est drôle comme une réalité prégnante, poignante, poisseuse, collante il y a seulement quelques années me semble désormais lointaine. C’est bien vrai, qu’on oublie les soucis de la petite enfance. Ou plutôt, qu’on les remplace par d’autres et qu’une fois qu’on est sortis des tranchées, on ne regarde plus beaucoup la fange. J’ai souvent eu l’impression, lorsque je parlais de mes vrais problèmes de crèche, de nez morveux, de diversification alimentaire, à des parents d’enfants plus grands, que je ne recevais pas l’écoute active et impliquée que j'espérais. C’est pourtant pire que tout d’être parents de bébés! De l’empathie, oui, bien sûr, mais lointaine, comme si les personnes avec qui j’avais ces conversations compatissaient, sans trop. 

Je finissais froissée. 

Je suis désormais celle qui froisse. 

J’écoute les problèmes des autres et j’aime ça, écouter la vie de parents malheureux (je me sens moins seule comme ça), mais je vois aussi que je ne suis plus cette personne pleine de ces certitudes, ou confondue de doutes, pétrie d’idéaux. 

Nous aussi, nous avons sacrifié nos samedis matins, pour aller à l’école de musique, au bébé nageur, au foot, ou toute autre activité de ce genre. Nous avons tenté les cookies maison et les matinées peinture. Nous étions, Mari et moi, d’autres parents. 

Sauf qu’un autre enfant est arrivé, et puis un autre, et avec eux, la réalité des choses. Ce n’est pas que je ne veux plus m’occuper de mes enfants, ni que je trouve que ce soit une mauvaise chose d’essayer de donner tout ce qu’on peut à sa chère progéniture. C’est que je suis harassée des journées à essayer de bien faire, d’être la meilleure mère possible, sans y arriver bien sûr parce que je n’y parviens qu’à grand peine - et encore, uniquement les années bisextiles!

Ces autres parents ont beaucoup d’ambition, de projets, d’idéaux. Quant à moi, si je termine la journée et que tout le monde a à peu près mangé et est vivant, ben, je trouve que j’ai réussi. Je traîne ma parentalité, derrière ces locomotives - ou bien, j’avance comme un tortillard, en laissant derrière moi les questions trop lourdes auxquelles, de toute façon, il n’y a que des réponses fragiles, promptes à devenir caduques voire à dérailler comme des wagons de bestiaux sur de fragiles voies ferrées. 


Les parents d’adolescents m’écoutent sans doute avec la même politesse lointaine. Et pourtant, sans réussir réellement à comprendre leurs questionnements, je m’y projette, je veux savoir comment je serai, qui je serai dans cinq ou dix ans. Quand je vois des adolescents ou des jeunes hommes presque majeurs, je ne peux m’empêcher de m’imaginer, de me projeter, de me voir mère d’ados ou de jeunes adultes, de chercher à savoir qui seront mes garçons, à quinze, seize ou vingt ans


Quand nos enfants seront devenus autres, nous serons sûrement encore, d’autres parents.


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