SWAP
 

Batailles choisies #677

Cherche appartement, maison (ou mari?) pour les vacances. 🔁


 

Il est 15 heures et le soleil inonde l’appartement.

Je viens de rentrer d’un déjeuner avec un ami.

J’ai rendez-vous dans une heure avec une lectrice.

Un thé fumant, un livre ouvert et du temps libre m’attendent dans un doux silence. 


J’ai dit à qui me posait la question que vraiment, la vie que j’ai au Chili est géniale, qu’elle est très douce, très privilégiée, que je ne peux pas rêver mieux.

C’est vrai.

Mais… je peux rêver, non?

Je rêve à la vie parisienne que j’ai pour quelques jours. Imaginez un peu: je suis en vacances, je revois des amies, des anciens potes, je rencontre des lectrices de longue date, je parle de mon dernier livre, j’écoute des parents en parler avec un tel amour, un tel enthousiasme que j’en ai les larmes aux yeux, je flâne dans Paris, je retrouve ma sœur adorée. C’est une telle parenthèse dans ma vie à bout, à bout de souffle, à bas-bout, en bout de course. C’est… merveilleux, de douceur, de temps, d’oisiveté déculpabilisée.   


Eh sinon, ma soeurette, euh, ça te dirait pas qu’on échange de vie? Qu’on swappe nos vies, oh, juste pour des vacances, hein! Tu viens au Chili et tu t’occupes des enfants pendant une semaine? Et moi je reste dans ton appartement et je fais des expos, je vois de gens et je bois des cafés en terrasse? Ah, non, mais t’inquiète, je te prends pas ton mec, hein. Chacun le sien: moi je viens ici avec Mari, et vous, vous allez tous les deux à la maison et vous restez avec les enfants!

Non? Tu es sûre?

Attends, qu’est-ce que je pourrai te dire pour te convaincre… Euh… ben écoute, regarde, si tu restes pendant une semaine avec les petits, tu vas courir toute la journée après les enfants, tu vas passer ta journée à penser au prochain repas, toi et ton mec vous allez à peine vous parler et vous allez passer votre temps à lancer des ordres ou des reproches, vous allez devoir séparer mes trois enfants en deux groupes dans l’espoir de survivre jusqu’à la fin de la journée, en tirant à la courte paille pour le groupe le plus galère des deux et la sortie la moins fun des deux, tu vas aussi régler des disputes pour des camions rouges, des verres bleus ou des crayons verts, tu vas être patiente, super patiente, jusqu’à ce que tu exploses parce qu’on te fait tourner en bourrique à force de te demander d’être patiente, tu vas avoir des piles de linge à laver, tu vas menacer les enfants d’une visite des pires trolls, sorcières et démons issus toutes les mythologies du monde s’ils ne se lavent pas bien les dents, tu vas terminer la journée avec la tête en citrouille, les pensées en berne et l’âme en dépression et vous allez vous écrouler à 21 heures sur le lit. 

Non? Toujours pas?

Ils te feront aussi les plus doux bisous du monde, des câlins plein de tendresse.

Non?

Ah… dommage, je pensais t’avoir bien vendu la parentalité…       


L’herbe est toujours plus verte dans le jardin des voisins. Avec cette liberté, avec ces vacances, évidemment que ma vie quotidienne si harassante ne me fait pas rêver. Bien sûr que tout ce que je vis ici n’est qu’une parenthèse et qu’il me faut prendre garde aux illusions de la reconnaissance, de la douceur de vivre, de la liberté d’une vie sans contraintes.


Je me suis ressourcée, j’ai retrouvé de l’énergie, j’ai vu la lumière… et aimerais bien la revoir avant les calendes grecques. C’est un tel soulagement de faire un pas de côté sur sa vie que je me rends compte qu’on en a vraiment besoin, alors que ni Mari ni moi ne l’avons jamais fait. Pas assez de soutien familial, une grande réticence à faire appel à des services de garde parce qu’on s’inquiète d’une galère, je ne sais pas quoi à vrai dire qui nous retient, et nous empêche.

Alors, j’insiste, cherche appartement ou maison pour échange pour les vacances. Notre maison est très agréable - enfants inclus (dans la maison, pas l’agréable).


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Lettre à A.
 

Batailles choisies #676

Tu viens d’avoir un bébé, on a discuté cinq minutes sur un stand. On ne se reverra peut-être plus jamais. Mais j’ai envie de t’écrire cette lettre, à toi, A., une mère comme une autre, une mère comme nous toutes. 💪


 

A., merci d’être venue discuter quelques minutes avec moi, à la table où je dédicaçais des exemplaires de Nos enfants, nous-mêmes, après la conférence.

A., merci.

Parce que je suis heureuse qu’on puisse voir en moi une maman qui écoute d’autres mamans. Une maman à qui on peut dire, timidement d’abord, puis avec un peu plus de voix, que, vraiment, non, ce n’est pas facile, d’avoir un bébé, que ce n’est… même… enfin… pas aussi bien que ce qu’on pensait, d’être mère.  


Tu es une femme éduquée.

Une trentenaire dynamique.

Une lectrice.

Une féministe.

Une jeune mère d’un fils de quelques mois.

Et pourtant, tu es surtout une jeune femme qui ne comprend pas comment elle a pu, à ce point, ne rien savoir sur ce qu’était avoir un enfant.

Une mère choquée - sous le choc de la vérité qu’être mère est un état de fait pour lequel il n’y a pas de retour en arrière possible, ni de salutaire demi-mesure.  

Une mère secouée - encore tremblante des secousses de se retrouver si seule avec son enfant. 

Une mère étourdie - prise du vertige à regarder si souvent au fond d’un gouffre dont on n’imaginait pas l’existence avant.


Abîme, gouffre, abysse, c’est un peu fort. C’est vrai. Toutes les mères ne vivent pas avec désespoir cette période. Mais on la vit toutes, ou presque, dans la solitude. On passe toutes des nuits infiniment longues ou terriblement courtes, on passe toutes des couches aux biberons dans un cycle qui n’en finit jamais, on passe toutes par des moments de doute, on tente de raisonner les pensées désenchantées, découragées, sombres, qui nous passent par la tête. En matière d’enfants, les journées passent lentement et les années passent vite. 


Comme je comprends ce désarroi, comme j’ai vécu cette même claque, cette entrée dans la maternité comme on serait jetée aux fauves pendant que quelqu’un crie “que le meilleur gagne!”

A., tu ne le dis pas directement.

Non, tu te contentes de suggérer.

Oh la, ben, c’est dur.

Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi dur. 

C’est pas que je regrette…

C’est pas que je l’aime pas…

C’est juste que…

C‘est dur.

Et que, ce que je trouve incroyable, ce que je trouve fou, c’est que personne ne me l’ait dit. 


A., je suis assise, difficilement mobile, empêchée derrière cette grande table pleine de livres, difficilement flexible sur mes horaires qui me contraignent à rester ici, mais j’aurais envie de me lever et d’aller boire un café avec toi! De t’écouter, d’être ton temps pour toi, d'accueillir ta parole sans donner de conseil, de solution, d’avis. Quand on est mère, on a besoin, souvent, de déposer mots et bagages. J’ai envie de cueillir les larmes qui se retiennent de couler sur tes joues, de recueillir tes mots qui perlent alors que tu te mords les lèvres pour retenir ce que tu as à dire.


A., toi et moi, on a vécu la même chose. On a ressenti la même chose. 

On s’est senties arnaquées.    

Trompées.

Lésées.

Flouées.


C’est une des périodes les plus difficiles de notre vie et, en plus de survivre, le bébé et nous, on devrait trouver que c’est merveilleux! Pourquoi parle-t-on de moments merveilleux, alors qu’ils sont plutôt terribles, même si, bien sûr, dans le brouillard des mauvaises nuits, dans le désordre des couches, il existe les sourires aux anges et les chairs toutes chaudes? 

 

Personne ne nous l’avait dit, qu’on se sentirait si seules.

Et puis, personne ne nous avait dit que le père, ou la belle-mère, ou la copine de boulot, sortirait des remarques qui vous poignardent le dos, sans y penser une seule seconde. 

A., tu me dis: mon mari, quand il rentre, qui dit qu’en ce moment, c’est difficile, il n’a que les moments difficiles avec notre fils. 

Et toi, A., tu te dis: mais il n’écoute pas? Il n’entend pas alors, quand tu lui racontes tes journées longues, pénibles, éreintantes? Il s’imagine que des licornes et des arcs-en-ciel avec bande-son de ukulélé constituent l’arrière-plan  de journées avec un nourrisson?


Alors, si tu n’es pas entendue, A., peut-être que tu seras lue? Si tu veux m’écrire? Ou bien, si tu veux juste lire cette lettre, A.. 

On sait.

Tu n’es pas seule.

Courage à toi, A.


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