Entrée en lice des combattants
 

Batailles choisies #689

On oublie qu’un conflit avec un enfant, c’est aussi, surtout parfois, un conflit avec l’autre parent. 🏟


 

Grand refuse de mettre un short et t-shirt, malgré les 30º annoncés. Grand préfère cacher son corps derrière des manches longues parce que… ben… dis-moi, Grand, pourquoi? Ben parce que mon amie J. m’a dit que j’avais des jambes moches. Ah bon? Mais enfin, absolument pas, tu es tout beau, mon Chéri! Tu ne peux pas accepter qu’on te dise ça! Et puis, même, tu ne vas pas crever de chaud pour te cacher!  


Grand.

Gentil. Trop gentil.

Timide. Trop facilement intimidé. 

Doux. Se laissant trop aisément impressionner, avoir, berner. 


Mari et moi avons tous les deux tenté de raisonner Grand, sans succès. Notre aîné a lancé un pavé dans la mare, qui nous a éclaboussé tous les deux. 

  • Tu ne peux pas le laisser s’habiller comme ça, me dit Mari. Mal fagotté, là, tout le temps, ridicule quand il sort, et me faire jouer à moi le rôle du méchant, qui dit non, hors de question de sortir ainsi!

  • Il a peut-être besoin d’un peu de temps pour se rendre compte de ses fragilités… et en tout cas, il a certainement pas besoin qu’on le critique tout le temps!

  • Ni qu’on ne le critique jamais!


Autour de Grand, rôdent des peurs non dites: Mari a peur que je ne sois pas assez stricte, et que j’élève des enfants qui font ce qu’ils veulent, trop sensibles, trop choyés, trop écoutés - un peu comme ce qu’il n’aime pas de mon frère, de ma sœur et de moi, quelque chose qu’il ne veut pas reproduire de l’éducation que nous avons reçue. De mon côté, j’ai peur d’élever mes enfants à la manière de ma belle-famille, en balançant critiques et hurlements dès le saut du lit, dans une posture autoritaire où c’est moi l’adulte, c’est moi qui décide.

Donc, lorsque Grand refuse de mettre une tenue appropriée, qui trahit un certain manque de confiance en lui et une difficulté évidente à s’affirmer, que faut-il en conclure? Que je l’ai trop protégé, choyé, couvé, et qu’il est, par conséquent, devenu sensible, faible, influençable? Ou que son père l’a trop critiqué, lui a trop envoyé de piques qu’il espérait éducatives, fortificatrices, sans chercher à écouter ses émotions, et que, par conséquent, il doit protéger son intégrité, son image de lui-même, en n’en faisant qu’à sa tête? 

Et que faut-il faire? L’engueuler plus - ou moins? L’excuser moins - ou plus? L’écouter plus - ou moins? L’obliger moins - ou plus?


Dans les feux croisés de ces peurs, angoisses parentales, problèmes non-résolus de ses parents et de nos propres enfances, se trouve Grand. Les deux combattants qui viennent d’entrer en lice sont Mari et moi. Grand n’est qu’un spectateur. Il est si difficile de faire la part de nos faiblesses, de nos fragilités et de celles de notre fils. Il est si difficile de faire un pas de côté, alors qu’on s’est engagés dans la bataille. On n’a plus de perspective et on ne fait que se tirer dessus à boulets rouges, mon fils semblant parfois n’être qu’un dommage collatéral dans un conflit qui est celui de deux adultes.

Si on prenait le temps de faire une trêve de Noël, on pourrait trouver ce que chacun de nous a apporté à notre fils et continue de lui apporter: Mari apporte son optimisme, sa bonté, sa naïveté, son humour à notre fils, son sens du détail; j’apporte mon esprit de gagne, ma volonté, mon intérêt pour les autres, ma tranquillité face à la vie. Et peut-être alors, que chacun, en donnant le plus, donne aussi le moins: je le grève de ma patauderie, d’un certain orgueil et d’une grande timidité, avec le bonus de ne pas savoir interagir avec un groupe de personnes; Mari le grêve de nonchalance, de manque d’ambition, d’une certaine mollesse.  

Mais, depuis les tranchées de la parentalité, impossible de voir ces aspects positifs chez nous. Nous n’arrivons qu’à ressortir nos vieilles casseroles, nos vieux combats, tout ce qu’on n’aime pas chez notre conjoint et dont Grand se trouve être l’infortuné ambassadeur.  


Et pendant que Mari et moi combattons, notre aîné reste là, suant sous son jogging, sous un soleil de plomb digne du Colisée.

Dans cette arène, nous sommes ensablés, Grand, Mari et moi. 

C’est par où, la sortie?


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Choubidou
 

Batailles choisies #688

Milieu s’essaie à la lecture. Et c’est chou…bi…dou. 🇩🇯


 

Grand lit un livre dans sa chambre avec son père. Je suis avec Dernier sur son lit, à regarder avec lui Les engins de chantier, l’incontournable, le classique qu’il a emprunté pour la septième fois de l’année à la bibliothèque. Milieu, en bon enfant du milieu, confortablement installé sous sa couette, lit tout seul.

Le seul hic, c’est qu’il ne sait pas lire.

On ne dirait pas, pourtant, à le voir ainsi, regardant d’un air concentré les pages, les tournant délicatement, passant le temps nécessaire sur les illustrations, regardant toutes ces lettres soit avec le sérieux d’un universitaire lisant un pavé avec aisance, soit avec la curiosité d’un entomologiste devant un insecte rare.

Vais-je trouver que c’est un doux moment et vais-je trouver mes enfants choubidous, surtout mon Milieu, qui lit alors qu’il ne sait pas lire?


Oh, mais ce serait oublier ma super copine, Culpabilité, qui me suit comme mon ombre et tire plus vite que Lucky Luke, évidemment! Culpabilité qui me casse mon moment où je pourrais trouver adorable cet air sérieux de mon Milieu, celle qui me dit, tu vois, il a six ans, il rentrera en CP à la rentrée prochaine et tout ce qu’il veut, c’est apprendre à lire, mais comme il est coincé entre son chouinard de cadet et sa sangsue d’aîné (ou l’inverse?), et bien, je ne peux pas lui consacrer une seule minute, le soir, pour l’initier à la lecture. Et oui, je sais, super copine ou terrible commère, je sais bien que Milieu, si j’avais plus de temps à lui donner, eh bien, il parlerait mieux, il aurait un langage plus fluide. C’est mon manque d’attention envers lui, comparativement à ses frères, qui fait que sa syntaxe est encore si basique et qu’il ne sait pas lire alors qu’il est prêt, qu’il demande!

Moi, je culpabilise, bien sûr. Je suis mère - quoi de neuf?

Milieu néanmoins en a pris son parti. Le soir, il se joint à l’un de ses frères ou bien feuillète seul un bouquin en sachant que sa douce vengeance viendra… dès le lendemain matin.


Il sait que son moment à lui, c’est le matin. Premier lever, il va chercher son père ou moi pour qu’on lui lise quelques pages au saut du lit, dès que l’aube pointe son nez. C’est le moment pour profiter que ses frères dorment encore, le moment pour profiter de  nous.

Aujourd’hui, les résultats du jeu de lits musicaux de la nuit d’hier me cueillent quand j’ouvre les yeux: je suis seule dans le lit de Dernier, Milieu est bien sûr le premier levé et est venu se glisser contre moi sous les draps. Après quelques secondes de câlins, il me demande de lui lire un livre. 

- Bien sûr, mon chou, réponds-je d’une voix encore pâteuse.

- L’atlas des aventuriers! Je veux lire la page des animaux venimeux!

- Bien sûr, mon choubidou.

- Ah, non, d’abord, les drapeaux.

Milieu se met à regarder la page avec les drapeaux. Sans penser à rien de particulier, je lui propose de lire les noms des pays écrits en dessous. Je pose mon index sur le nom des pays et découvre chacun des sons qui composent le mot, un par un, doucement, en aidant mon fils à les prononcer: I-t-a-l-ie. 

Italie! Bravo, mon Milieu!

S-e-r-b-ie.

F-in-l-an-de (un peu plus dur, avec les nasales).

Milieu comprend rapidement le système, s’essaie sur toute la page des drapeaux européens puis américains, parvient à lire sans l’aide de mon ongle pour séparer les sons. Je fonds d’amour et de fierté, de le voir concentré, attentif, réussissant à lire tout seul! Je suis si heureuse! Dans ce petit moment, se développent, s’épanouissent toutes les qualités de mon Milieu que j’aime: discret, futé, persévérant. C’est chaud, c’est chou.


Certains pays sont trop difficiles: Bosnie-Herzégovine, ouf, pas gagné. Mais Milieu tente, ne se décourage pas, réussit avec un petit coup de pouce. Il termine les deux pages et veut continuer sur cette belle lancée. On passe aux pays d’Afrique, Maman, s’il te plait!

- Celui-là, de drapeau, je vais dire, m’informe-t-il avec ambition et fierté.

Il a jeté son dévolu sur “Djibouti”. 

Je repose mon doigt sur le nom pour l’aider, faisant apparaître un à un les graphies des sons qui composent ce nom, mais “d” et “j”, plus ce “i”, là, le “b” que Milieu prend souvent pour un “d” et un “ou”... tout ça fait une sacrée montagne:

Ch..

Ou…

B…

I…

Alors, sûr de sa lecture, même si aucun des sons n’est correct pour l’heure, il exulte parce qu’il a reconnu un mot qu’il a déjà entendu et qu’il faut bien deviner, parfois, quand on ne comprend pas…

Il crie donc: Choubidou!

Puis se rend compte tout de suite que non, ça ne peut pas être ça, parce que le pays de Choubidou, il n’en a décidément jamais entendu parler. 

Lui et moi éclatons de rire face à cette tentative noble mais ratée.


Ça, c’était Djibouti, mais toi, tu es vraiment Choubidou.


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