Noël, l’incroyable Hulk
Batailles choisies #175
En deux mots:
Et si, pour cause de féminisme, on annulait Noël?
J’ai 18 ou 19 ans. Je discute avec ma mère d’un article lu dans un magazine féminin sur ces femmes qui en ont marre de devoir préparer Noël. Je dis à ma mère: “Non, mais quand même, faut pas exagérer! Si elles veulent pas préparer le repas de Noël, personne ne les oblige à le faire!” Ma mère n’est pas du genre à entrer en conflit, donc elle partage mon rire bien qu’elle ne semble pas partager mon balayage mental de ces bonnes femmes qui ne savent plus quoi inventer pour se plaindre.
J’ai 18 ou 19 ans. Je me souviens encore de ce bref échange.
J’ai 18 ou 19 ans. Et je suis complètement à côté de la plaque.
Parce que presque vingt ans ont passé depuis, j’ai deux enfants, et si le Père Noël pouvait m’accorder un cadeau cette année, ce serait de rester avec ses lutins dans son Pôle Nord et me laisser en paix.
Je n’ai envie de chercher des cadeaux ni pour les enfants, ni pour les adultes. Je suis nulle en emballage. J’aime à peu près décorer le sapin, quoique dans l’hémisphère sud, les sapins sont en plastique, alors j’aime moins. Je veux bien cuisiner un p’tit truc, mais rien de compliqué. Je ne sais pas si j’ai envie de prévoir les longs week-ends et déplacements aux meilleurs jours et heures pour éviter les bouchons. Noël, ses flonflons, ses emmerdes.
Pourtant, chez nous, Noël est déjà à petite échelle: j’habite à l’étranger, ma belle-famille est restreinte, il n’y a qu’un seul repas de Noël, dont on se partage la préparation des plats. Chaque adulte ne fait (et donc ne reçoit) qu’un cadeau. Cette année, grande nouveauté: chaque personne n’a le droit d’offrir qu’un cadeau par enfant.
Derrière toutes les tâches liées à Noël, il y a toutes les tâches traditionnellement (et statistiquement) féminines: courses, achats, cuisine, rangement, décoration, planification des emplois du temps. Et il y a toutes les valeurs féminines: résoudre des conflits ou chercher des compromis familiaux, chercher à plaire et ne pas déplaire, être garante de la bonne humeur de tous, effacer ses propres souhaits pour ceux des autres. Peu importe que vous aimiez sincèrement fêter Noël: si une de ces tâches vous échoit, en général, elle convoque le ban et l’arrière-ban des à-faire, qui vous tombent dessus aussi en faisant comme si de rien, comme si c’était normal, avec la bouche en coeur des membres de la famille qui ne voient pas où est le drame. Noël, ce sont toutes ces tâches et toutes ces valeurs féminines, puissance 10.
Noël, le Hulk du patriarcat.