Fleur de cactus
Batailles choisies #345
Se sentir triste quand on regarde la nature, c’est le cadeau terrifiant que nous faisons aux générations futures🌵
Au printemps
Fleurissent les cactus chiliens
Branches épaisses d’où surgissent
Des pétales d’un jaune caresse
Clairs, pointus, épais
Comme une protubérance
Accrochée aux colonnes
En lanterne, en phare
Délaisser mon téléphone
Brillant des nouvelles sombres d’un monde qui s’embrase
Les dirigeants du monde ne s’accordent pas
COP26 et rien
Horizon 2030 et toujours rien ou si peu?
Délaisser oublier
C’est un beau dimanche de novembre et on va aller marcher
Respirer, regarder, me réjouir,
Avec ma mère et mon dernier-né
Enfouir les mauvaises nouvelles
Transmettre le goût de la nature à ses enfants, comme ce goût m’a été transmis
S’éduquer à aimer le grand air, à le rechercher
Offrir la nature aux générations futures
Alors, mon bébé, on sort?
Cadeau de ses yeux gourmands à sa maman chérie
Bien vrai, Maman, semble-t-il me dire, on va dehors
Mais oui mon cœur
La montagne juste à côté
La vue est si belle sur la vallée, sur la Cordillère au fond
Le roulis de la voiture qui nous amène au parc
Les larges routes fleuries qui nous amènent à la fin de l’humanité
Ces titres de la presse qui me taraudent
Qu’est-ce qu’on attend! Qu’est-ce qu’on peut faire?
Pourtant tous les scientifiques s’accordent!
Au lieu de ça les blablas sur un plateau
De Messieurs X, Y, ou pire, Z,
Mauvaises questions et mauvaises réponses
Comment hurler, d’ici, depuis mon petit moi?
L’air est frais et vif mais ne pas tarder à attaquer le dénivelé le soleil nous menace déjà
Au parc où je voudrais venir plus souvent, des centaines de cactus
Lèvent leurs bras vers les nuages
Au printemps, ils fleurissent, ce sera magnifique
Maman, Dernier, vous allez voir!
Trois générations
Dans la nature
Respirer
Expirer
Admirer
Connaître sa chance
Branches sèches qui craquent sous les pas
Suer les mauvaises pensées
Ils ne font rien, ces vieux, ces blablateurs, ces menteurs,
N’ont-ils jamais marché sur des sentiers encore frais?
Ne se sont-ils jamais sentis petits, humbles?
N’ont-ils jamais dit à leurs enfants, regarde la nature, aime-la, c’est un cadeau
Les arbres poussent solidement sur la pente ocre
Sèche, de plus en plus sèche,
Région centrale du Chili
Qui a trop chaud
Arbres natifs qui s’acharnent à faire naître petites feuilles et fleurs jaunes
Chandeliers de cactus
Dont un, massif en bordure de sentier
Ouvre ses bras
Nous faisant un peu d’ombre, c’est gentil
Attention aux épines longues comme des reproches
Le monsieur pointu porte en lanternes ses fleurs jaunes
Certaines grandes ouvertes
D’autres encore timides
En haut, la vue sur les champs de Colina
La Cordillère en écran d’éventails posée contre un ciel clair
Les marcheuses sur la mer de nuage bleu du smog
De nos erreurs
De nos lâchetés
La bourgeoisie en bas
Résidences proprettes et trop arrosées
La culpabilité
Ma bourgeoisie
Ma résidence proprette et trop arrosée où je vis heureuse avec mes trois enfants
En sortir le dimanche pour apprécier la nature
Cette nature qui devrait
Comme celle qui a émerveillé mon enfance
M’élever l’âme
Mais cette vue me la grève, me la leste
La nature en danger, c’est le cadeau pour mon dernier-né?
Comment hurler, d’où je suis, d’où je vis
La révolution
Il faut s’y frotter quitte à s’y piquer
Il faudrait s’y frotter
Ça pique, pourtant
Nous élever l’âme, regarder la beauté avant qu’on l’étouffe
Redescendre
Dernier s’est réveillé
Émerveillé
Il a tout regardé mais il risque de s’agiter
Il faut rentrer
À pas prudents
Descente qui glisse
Le cactus en bordure de sentier
Me salue
Massif, ses quatre, non cinq, non six fleurs qui regardent elles aussi la vue!
Horizon 2050
COP combien?
Mes enfants auront 30 ans
Comment démêleront-ils ce tas d’aiguilles?
Cadeau pour les générations futures
Un monde de cactus sans fleur