En procrastinant

 

Batailles choisies #353

Big up, high five et autres wokismes aux mamans, ces procrastineuses de haut niveau. Mais au fait, qu’est-ce que la procrastination maternelle? ⌛️


 

La procrastination n’est pas une paresse.

La procrastination n’est pas une flemme.

La procrastination n’est pas non plus une faute morale (de mauvaise travailleuse, de mauvaise mère, de mauvaise femme d’intérieur, ou autre créature mythologique).


Vêtements naissance, vêtements 3 puis 6 puis 9 mois, à trier.

Lit cododo jamais utilisé qui traîne dans notre chambre, à revendre.

Les mobiles, à donner.

Jouets, vélo, chaussures, tant d’affaires et tant à faire! Sur mes talons dans chaque pièce de la maison résonnent les “oh! il faut vraiment que” et les “ah! j’ai toujours pas”.

Des mois, des années après ces “oh” et ces “ah”, les vêtements ne sont toujours pas triés, le cododo traîne toujours, les mobiles qui n’intéressent plus personne tournoient encore mollement.

   

La procrastination n’est pas une flemme.

La procrastination n’est pas non plus une faute morale.

La procrastination est une réponse à ces boîtes de vêtements de bébé à trier, à ce vélo trop petit à revendre, à cette poussette à donner, à ces jouets premier âge, à ces langes: à tous les sentiments mêlés qui émanent des objets.


Trier, revendre, ranger, c’est aussi passer à autre chose, finir une étape.

En procrastinant, je fige et mets en pause les émotions contradictoires que je ressens: j’ai hâte d’avoir fini ma vie avec des bébés, mais j’ai la nostalgie de ces bonheurs minuscules que je ne connaîtrai plus jamais; j’ai envie de ne plus être la journée entière avec mon Dernier, mais je trouve que c’est aussi une chance d’être un peu hors du temps des grandes personnes, d’être beaucoup à la maison, de vivre à l’heure des siestes, avec la douceur et l’aliénation inextricablement mêlées dans cette vie donnée à l’autre.


Ranger les affaires de bébé, c’est accepter de reprendre le travail, c’est lâcher prise sur une petite vie de petits instants de liberté construite avec acharnement.

Accepter le stress des jours où les enfants sont malades.

Accepter les horaires qui me sont imposés.

Avoir peur de devoir abandonner des projets d’écriture.

Accepter que ce sera désormais ma vie, pour des dizaines d’années.

Accepter que c’est aussi une forme de liberté, que les enfants soient ailleurs, gardés par d’autres.

Accepter que rien n’est immuable, que je m’adapterai, et c’est tout. 


Je trierai, je rangerai, je donnerai quand j’aurai plutôt envie de reprendre le chemin du collège, quand j’aurai démêlé le soulagement, les angoisses, la dynamique, la liberté de ce que veut dire reprendre le travail. 


Ce matin, Dernier pleure, s’agite. 

J’en ai marre. Je suis fatiguée d’être avec lui, de dépendre de lui autant qu’il dépend de moi.

J’ai aimé ce long congé maternité, mais la cohabitation avec lui se complique, siestes moins lisibles, moins sûres, moins longues. Il est désormais mobile et épuisant à ramper partout, à toucher à tout.

Si c’était la fin d’une étape, pour lui, pour moi?


Vêtements naissance: triés.

Mobiles: donnés.

Cododo: vendu.


La procrastination lève doucement, les sentiments mûrissent, jusqu’à ce qu’on accepte de faire un pas dans le vide.


En attendant, en procrastinant, mon envie de changement a dépassé ma peur du changement.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣