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L’odeur de chlore
 

Batailles choisies #399

La madeleine de Proust de mon enfance: l’odeur de piscine. 🏊‍♀️


 

J’ai passé mon enfance ballottée de village de vacances en village de vacances. Mes parents travaillaient pour une chaîne hôtelière et, tous les six mois, tous les deux ans, tous les trois ans, on pliait bagages et on partait pour un nouveau village, en Europe, en France, en Amérique.

C’était une enfance heureuse, merveilleuse, chanceuse. On a habité dans des endroits tous plus beaux les uns que les autres. On formait une famille soudée qui, constamment déracinée, trouvait ses racines en elle-même. Dans cette enfance si particulière se trouve la source de mon identité, même si cette vie nomade, d’une liberté folle, solitaire aussi, coupée du monde, m’apparaît en vieillissant bien lointaine. 


Je ne suis plus l’éternelle nouvelle à l’école. 

Je ne suis plus cette enfant ballottée depuis longtemps mais, en ce samedi d’été, je vais la redevenir un instant.


Mon mari a organisé une sortie, un déjeuner en famille dans un coin où aucun de nous n’est jamais allé, un club de sports dans une vallée reculée de la pré-cordillère.

Il y a d’abord la route sinueuse de montagne.

Il y a les paysages qu’on découvre en montant, si changeants, d’une vallée à l’autre. 

Il y a ce grand parking à l’entrée, cette petite guérite et la barrière que lève le gardien.

Il y a ces grands bâtiments de complexes hôteliers qu’on découvre pour la première fois, qu’on aborde par l’arrière, sans voir ce qu’ils cachent.

Il y a cette appréhension curieuse, et une sorte de fatigue en descendant de voiture, alors qu’on n’a pas fait beaucoup de route.

Il y a cet air vif qui souffle en montagne en été.  

Entrons! C’est par là, apparemment.

Tous les sept entrons et passons entre une salle de gym et une piscine d’intérieur.

Les plafonds ont beau être hauts et les fenêtres ouvertes, une odeur prégnante de chlore m’envahit les narines.


Toute mon enfance m’attendait là, dans les effluves de piscine. Parce qu’à chaque nouveau déménagement, à chaque nouvelle arrivée dans ce village de vacances où nous allions vivre, trois mois ou deux ans, il y avait la découverte des lieux, il y avait la sensation délicieuse et effrayante de repartir de zéro, de retrouver des éléments familiers mais d’être débarquée en pays inconnu.

J’en suis terriblement émue, de regarder cette piscine où plongent des petites filles, de sortir dans le domaine, de voir les parasols, les gens qui prennent le soleil, vignettes d’insouciance et de bon temps.

J’en suis terriblement émue, de voir l’azur du ciel, les montagnes toutes proches, les sentiers qui serpentent et que j’ai hâte de courir, cet arbre immense, là-bas, qui fera une cabane.     

Je me revois, cherchant dans chaque nouveau village de vacances la piscine où je passerai des heures, les différentes installations (écuries, cours de tennis, restaurants) qui seraient mon quartier, la maison un peu cachée dans un coin où nous allions vivre. Je me revois face à cette foule de gens dont je ne connaîtrai jamais rien, qui ne me prêteront pas attention. Je me revois gamine dans ce monde d’adultes, des travailleurs de l’hôtel qui passent et repassent, vont et viennent, qui me sourient et à qui je souris, alors que bientôt je partirai et que je ne les reverrai plus jamais.


Toute mon enfance.

Une familiarité dans cette vie hors-sol, dans la vapeur chaude d’eau de piscine.

Quelle surprise en ce samedi d’été de faire, dans le passé, un grand plongeon!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonnostalgie, sortie
En procrastinant
 

Batailles choisies #353

Big up, high five et autres wokismes aux mamans, ces procrastineuses de haut niveau. Mais au fait, qu’est-ce que la procrastination maternelle? ⌛️


 

La procrastination n’est pas une paresse.

La procrastination n’est pas une flemme.

La procrastination n’est pas non plus une faute morale (de mauvaise travailleuse, de mauvaise mère, de mauvaise femme d’intérieur, ou autre créature mythologique).


Vêtements naissance, vêtements 3 puis 6 puis 9 mois, à trier.

Lit cododo jamais utilisé qui traîne dans notre chambre, à revendre.

Les mobiles, à donner.

Jouets, vélo, chaussures, tant d’affaires et tant à faire! Sur mes talons dans chaque pièce de la maison résonnent les “oh! il faut vraiment que” et les “ah! j’ai toujours pas”.

Des mois, des années après ces “oh” et ces “ah”, les vêtements ne sont toujours pas triés, le cododo traîne toujours, les mobiles qui n’intéressent plus personne tournoient encore mollement.

   

La procrastination n’est pas une flemme.

La procrastination n’est pas non plus une faute morale.

La procrastination est une réponse à ces boîtes de vêtements de bébé à trier, à ce vélo trop petit à revendre, à cette poussette à donner, à ces jouets premier âge, à ces langes: à tous les sentiments mêlés qui émanent des objets.


Trier, revendre, ranger, c’est aussi passer à autre chose, finir une étape.

En procrastinant, je fige et mets en pause les émotions contradictoires que je ressens: j’ai hâte d’avoir fini ma vie avec des bébés, mais j’ai la nostalgie de ces bonheurs minuscules que je ne connaîtrai plus jamais; j’ai envie de ne plus être la journée entière avec mon Dernier, mais je trouve que c’est aussi une chance d’être un peu hors du temps des grandes personnes, d’être beaucoup à la maison, de vivre à l’heure des siestes, avec la douceur et l’aliénation inextricablement mêlées dans cette vie donnée à l’autre.


Ranger les affaires de bébé, c’est accepter de reprendre le travail, c’est lâcher prise sur une petite vie de petits instants de liberté construite avec acharnement.

Accepter le stress des jours où les enfants sont malades.

Accepter les horaires qui me sont imposés.

Avoir peur de devoir abandonner des projets d’écriture.

Accepter que ce sera désormais ma vie, pour des dizaines d’années.

Accepter que c’est aussi une forme de liberté, que les enfants soient ailleurs, gardés par d’autres.

Accepter que rien n’est immuable, que je m’adapterai, et c’est tout. 


Je trierai, je rangerai, je donnerai quand j’aurai plutôt envie de reprendre le chemin du collège, quand j’aurai démêlé le soulagement, les angoisses, la dynamique, la liberté de ce que veut dire reprendre le travail. 


Ce matin, Dernier pleure, s’agite. 

J’en ai marre. Je suis fatiguée d’être avec lui, de dépendre de lui autant qu’il dépend de moi.

J’ai aimé ce long congé maternité, mais la cohabitation avec lui se complique, siestes moins lisibles, moins sûres, moins longues. Il est désormais mobile et épuisant à ramper partout, à toucher à tout.

Si c’était la fin d’une étape, pour lui, pour moi?


Vêtements naissance: triés.

Mobiles: donnés.

Cododo: vendu.


La procrastination lève doucement, les sentiments mûrissent, jusqu’à ce qu’on accepte de faire un pas dans le vide.


En attendant, en procrastinant, mon envie de changement a dépassé ma peur du changement.


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