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Promos sur l'été
 

Batailles choisies #616

Mon été en vrac, avec une très très grande nouvelle qui sort du lot. Saurez-vous trouver laquelle? 🗑


 

Dernier a eu trois ans.

J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.

Je me suis fâchée très fort sur Grand qui, mauvaise tête, ne voulait pas aller marcher avec ses frères et moi alors que c’était la seule idée que j’avais pour les occuper ce lundi de début de grandes vacances d’été.

Dernier a fait une crise, une autre, encore une, une troisième.

On est allés chercher mes parents à l’aéroport, embrassades et retrouvailles pleines d’émotion.

Je suis allée chez notre pédiatre adorée, compréhensive, rassurante, encourageante, pour trois rendez-vous consécutifs pour mes trois enfants. Ils se sont comportés correctement, sauf Dernier qui s’est impatienté, s’est échappé du cabinet et m’a crié des insultes du fond du couloir - fatigue, honte, résignation. 


J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.

On est partis en vacances dans le Sud du Chili, on a été cahotés par des routes pierreuses et creusées de trous, empoussiérés de cette terre brune collante qu’est le trumao.

On a rêvé à une maison secondaire perdue dans la montagne - et pourquoi pas, oui? Au bout de ce chemin caillouteux, il y a de hauts arbres centenaires, des cascades, des lagunes, des enfants heureux jouant au grand air. Quel doux rêve…

Je me suis fixée comme mission de terminer mon deuxième roman, au moins une version à peu près aboutie, d’ici la rentrée scolaire.

J’ai recommencé à travailler mon deuxième roman, petit à petit, à l’heure de la télé du début d’après-mid, qu’avec beaucoup de culpabilité, j’ai laissé chaque jour quelques minutes de plus pour pouvoir travailler.

J’ai pleuré d’écrire chaque mot, chaque ligne, d’avoir l’impression que je n’arrivais à rien, que je ne valais rien, que j’avais définitivement raté ma carrière d’écrivaine, 

J’ai menacé Dernier de retourner à la crèche l’année prochaine s’il continuait à se comporter comme un bébé. J’ai regretté le temps où j’avais la patience d’être mère, d’expliquer, d’écouter les sentiments et émotions.

J’ai écrit, tous les jours, avec acharnement, sérieux, résignation.



J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.

On s’est baignés dans des piscines naturelles d’eau délicieusement glacée, formées dans les gorges d’un fleuve du Sud. On a crié et ri de joie, transis et saisis.

Dernier a arrêté de faire ses siestes et s’est mis au même rythme que ses frères, coucher à 20h, lever à 7h, télé en début d’après-midi.

J’ai retrouvé un mari joyeux, heureux d’être avec sa famille, sans qu’il parvienne pourtant à sortir de sa fatigue d’un rythme effréné de travail. 

On a fait des plongeons, des sauts, des ploufs, des figures dans cinq piscines différentes. 

Milieu s’est blessé à la tête en voulant faire un saut périlleux arrière dans l’eau qui a fini la tête contre le rebord de la piscine.

J’ai fait de très longs câlins à Milieu. J’ai fait de doux câlins à Grand. Dernier m’a exigé de longs et doux câlins. Je les ai donnés, parfois à regret, parfois avec plaisir.  


J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.

On s’est embarqués dans des plans évidemment galère, plans avec trois jeunes enfants qui ont trop chaud, ne veulent pas marcher, exigent d’être portés, 13 kilos sur un bras, 17 sur l’autre, n'en ont rien à faire des arbres centenaires de parcs nationaux, s’endorment dans la voiture et se réveillent d’humeur ogresque, qu’on ne peut calmer qu’à coup de paquets de chips et de glaces pleines de colorants.

On s’est embarqués dans des plans évidemment galère parce qu’il faut bien occuper tout ce petit monde et on s’est étonnés que tout se soit très bien passé, non, vraiment, tranquille, aucun problème. 

On a fait des jeux de société à cinq, à trois, à deux, à six, on a partagé de grands éclats de rire.

J’ai adoré voir mon Milieu, qui ne s’intéressait pas beaucoup aux cartes ou aux jeux de plateau, y jouer avec plaisir, en apprendre de nouveaux, attendre son tour, bouger le pion, demander à refaire une partie.


J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.

On a eu froid sur notre plage du Pacifique préférée par temps nuageux, on a déjeuné dans un restaurant sur le port de pêche, on a vu qu’en cette saison estivale, on pouvait monter dans un vieux bateau pour faire le tour des côtes de la péninsule. On est tombés en panne au bout de cinq minutes de cabotage, on a attendu quinze minutes qu’un bateau un peu moins vieux vienne nous sauver. 

Les garçons ont hurlé de joie en voyant des lions de mer et des bateaux échoués.


J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.

J’ai terminé une première version de mon deuxième roman.

J’ai envisagé avec appréhension et soulagement cette première année scolaire où mes trois garçons sont à la grande école. Ça se tasse. Ça grandit.

On a évoqué les prochaines retrouvailles, les vacances en France en mai, les grands-parents en novembre et peut-être, peut-être, pour la première fois, un voyage des petits-enfants sans leurs parents pour les fêtes de fin d’année. 

Dernier a hurlé de toute la force de ses poumons parce qu’il ne voulait pas se laver les dents, ni aller se coucher, ni mettre son pyjama, ni lire un livre, ni rien. 

J’ai pleuré intérieurement que ce troisième gamin, encore, m’épuise, ne me laissera donc jamais passer à autre chose?


J’ai mis la dernière couche de toute ma vie de mère.


Quel été merveilleux!


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

La lutte avec l'Ange
 

Batailles choisies #232

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Changer la couche de son bébé à 3h40 du matin: pour? contre? Priez pour moi? 👼


 

Dernier s’est endormi après la tétée du milieu de la nuit. 

Il est beau. 

Je le dis en toute modestie. 

Moins ensuquée que lors de la tétée de 23 heures, je prends un temps pour le regarder, couché dans le lit parental, enveloppé dans un plaid en polaire bleue, recouvert d’une épaisse couette sous laquelle je me tiens au chaud moi aussi.

Il est beau, ce bébé, dans l’obscurité faiblement éclairée par la veilleuse. À bientôt trois mois, il a de grosses joues, de fines lèvres rosées délicatement entrouvertes. Un bébé de cet âge ressemble vraiment à un Ange, à ces putti bien en chair qui virevoltent dans la lumière dorée des tableaux de musées.



Mais que se passe-t-il, mon Ange?



Dernier se met à gigoter soudainement, la paupière fébrile. Il bouge, se tord, se tortille puis oh! un bruit sec qui pétarade dans la nuit froide!

Un ange qui pète… 

Les représentations dans l’iconographie sont rares.



Je chute de mon petit nuage de maman comblée et enfile ma tenue d’urgence de maman stratège. L’alternative est donc: le changer parce que la couche contient sûrement plus que du vent, mais risquer de le réveiller. Ou le laisser dormir et espérer qu’il tienne jusqu’à sept heures du matin sans être dérangé par sa couche souillée. Choix difficile. 



Je le regarde comme s’il allait me donner la réponse, sa peau claire et douce avec le teint rosé du rassasié, ses sourcils blonds, ses longs cils, les discrets sourires qui lui fourmillent au coin des lèvres. À le voir ainsi, sa poitrine se soulevant paisiblement à chaque respiration, je me dis que je ne peux raisonnablement pas le réveiller. Un bébé qui dort est-il obligé d’être si beau? Cet Ange n’est-il que le démon déguisé de la flemme maternelle?

Non, allez, je vais le changer, ça fera trop d’heures avec une couche sale, si c’est pour qu’il se réveille en hurlant dans une heure et finisse avec les fesses rouges demain, je serai pas plus avancée.

Je place une main sous sa tête, une autre dans le creux de son dos et m’apprête à le sortir de son sommeil bienheureux quand il se met à s’étirer. Ma volonté flanche parce qu’un nourrisson qui s’étire, c’est une flèche de tendresse en plein cœur! Ses joues gonflent, sa bouche forme un cul de poule, ses épaules enserrent son cou. La tension est à son comble quelques secondes merveilleuses, avant que tous les gestes ne se détendent et que ses mains finissent au-dessus de sa tête comme s’il se rendait mollement au shérif dans un vieux western.



Risquer de le réveiller? Mon démon qui préfère dormir me souffle que non, comment oserais-tu? 

Dernier s’étire encore.

Prout.

La deuxième pétarade sonne le réveil. 

Je me décide pour la route en bordure de falaise, le haut risque: le changer dans le lit pour éviter le froid, le plus grand danger résidant ici dans le fait qu’il puisse faire pipi pendant l’opération, asperger les vêtements et les draps et transformer mon dilemme en très gros problème. Mais il est si beau, il ne ferait pas ça, ce petit Ange!



Vite, ouverture de la couverture, du pyjama, du body, guider fermement mais sans faire mal les jambes qui résistent au déshabillage, dégraphage de la couche, je tiens ma main prête à contrer le jet au cas où... 

Ouf, couche propre. Ce n’était que des bruits d’ange. Tout est vite refermé, reboutonné, rezippé, réenveloppé, replaidé, recouetté.

Nous sombrons tous les deux dans le sommeil, triomphant de ce combat gagné de haute lutte.

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D’autres batailles ⭣

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