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Castration chimique les yeux bandés
 

Batailles choisies #350

Faut-il castrer les violeurs et les pédocriminels? Où on rappellera que le violeur, c’est toi. 🚮


 

C’est période électorale au Chili.

Sur un grand rond-point où je passe tous les jours pour déposer Milieu à la crèche, ont fleuri des dizaines de hauts panneaux-sandwichs, celui-ci pour une candidate au Sénat, celui-là pour un aspirant député, cet autre où on parle de confiance, tous avec leurs poses figées et messages rapides à lire avant de prendre l’autoroute. Sur la majorité de ces panneaux, il y a le nom, un slogan, une photo qui respire le type ou la nana sympa, pas grand chose de plus. Aucun n’a de proposition, de programme - sauf un.


Ce “un” est placé pile là où j’entame la courbe à gauche. Posé bien en bordure du rond-point, je ne peux pas ne pas le voir. C’est comme s’il me faisait coucou matin et soir. Son programme, écrit très en travers, en très gros et en très rouge, est: “Loi de castration chimique pour les violeurs et les pédophiles”.

Tous les matins, tous les soirs de semaine, sur la route de la crèche, je vois cet aspirant castrateur à l’air décidé et au sourire franc, un jeune homme aux dents blanches et cheveux noirs coupés courts, qui ressemble à tant de jeunes chiliens.

Comment s’appelle-t-il, je n’en ai aucune idée car je ne veux pas retenir son nom. Parce que j’ai parfois l’esprit taquin et que la bêtise des hommes m’énerve, je l’appelle en moi-même “le violeur”.

Ah tiens, encore là, le violeur? Eh, le violeur, j’ai bien envie de te dégommer avec mon rétro… J’espère que personne ne votera pour toi, le violeur!

Son programme, unique idée, unique étendard, me fait tous les jours, comme la tête de celui qui le porte, un sale effet. 


J’imagine que, pour la maman pressée ou le bon père de famille s’acheminant vers l‘autoroute et le travail, cette solution semble rapide et efficace: il y a des monstres qui violent vos femmes et vos enfants - mettons-les hors d’état de nuire! Controns leur monstruosité avec une méthode chimique, irrévocable, un châtiment éternel proportionné aux souffrances éternelles qu’endurent les victimes. Et sans doute, ces monstres existent. 

Sauf que… 

Les faits sont irréfutables (lire ceci ou cela): les auteurs de violences sexuelles sont à 91% connus de leur victime pour les victimes majeures, à 49% membres de l’entourage familial proche lorsque la victime est mineure. 

Les violeurs et les pédocriminels ne sont pas, en majorité, des monstres inconnus dont les besoins dérangés sont assouvis sur des enfants croisés au hasard et qu’une forme de castration suffirait à mettre hors d’état de nuire.


Les violeurs et les pédocriminels sont nos frères, nos conjoints ou ex-conjoints, nos voisins, nos copains d’enfance, nos oncles, nos grands-pères, nos fils. Leurs désirs ne sont pas monstrueux, mais légitimés par notre culture du viol.

Le jeune homme aux dents blanches aurait-il tant de courage à exiger la castration chimique pour ses frères, son père, ses amis? Le violeur tiendrait-il avec un tel sourire, aussi sûr de lui que je suis sûre de son ignorance, une banderole disant “castration chimique pour les maris”?


Pour moi que ce sujet concerne en tant qu’humaine, femme et non en tant que victime et qui ne veux pas parler à leur place, cette proposition de loi fait davantage partie du problème que de la solution.  


Le jour où il y aura écrit en travers, en très gros et en très rouge, des propositions de loi du type “déconstruisons la masculinité toxique”, “écoutons les victimes”, “stop impunité”, “le violeur, c’est toi”, j’aurai le sentiment qu’on trouve aux vrais problèmes des vraies solutions.


Car dans les pensées qui me traversent, jour après jour, lorsque j’amène mon fils à la crèche, le sourire du violeur est la preuve que le monde et surtout les hommes qui le dirigent, ont envie de ne rien comprendre aux violences masculines.

Ça rassurera certainement moins le bon père de famille et la maman pressée, mais depuis 2019, au Chili et partout dans le monde, des milliers de jeunes femmes aux yeux bandés et qui ne sourient pas, portent un message, à mettre en travers, en très gros et en très rouge pour le candidat aux cheveux courts et aux dents blanches: 


Le violeur, c’est toi. 

 

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Heloise Simonviolence, étude
La résilience des mères
 

Batailles choisies #281

Mères de tous les pays, arrêtez d’être résilientes! Petit article pour dynamiter un terme à la mode qui m’énerve particulièrement. 🧨


 

Vous avez déjà entendu un homme cis blanc dire qu’il est “résilient”? 

Non?

Ça ne m’étonne pas. 

En revanche, vous en avez souvent entendu dire qu’il “faut être résilient.e”?

Ça ne m’étonne pas non plus.


Je tombe sur un dépliant à l’intention des assistantes sociales intitulé “La résilience des mères adolescentes”.

Le terme de “résilience”, qu’on lit partout, m’agace depuis longtemps. Il ne me revient pas, je trouve qu’il sent le roussi. D’ailleurs, il suffit de le taper dans Google pour voir que son emploi est bien trop utilisé par l’empire du développement personnel (et donc par l’idéologie capitaliste, marchande et néolibérale) pour être honnête.

Suspecte, très suspecte, cette résilience. Employée parfois pour “patience” dans un sens adouci, je crois qu’il faut lui donner le synonyme qu’il mérite: la résignation.

Judith Butler dans cet article est particulièrement éclairante sur la résilience, blague cruelle de l’idéologie libérale, qui n’est que la résignation à vivre une vie invivable.

Une vie est invivable lorsque les conditions de base de ce qui rend sa vie vivable ne sont pas réunies: cela inclut un toit, l’accès aux soins, et l’éducation. Cela comprend aussi d’avoir des droits qui nous protègent contre la violence et l’exclusion. Nous nous posons parfois cette question existentielle: est-ce que ma vie est vivable? Mais c’est aussi une question d’ordre social, de celles qui se rapportent à notre vie commune.

Or on se rend bien compte que la société pousse beaucoup de femmes, d’autant plus lorsqu’elles deviennent mères, dans cet invivable: femmes puis mères, surtout racisées, sont les premières victimes des violences physiques, psychologiques, économiques et sociales - la pandémie l’a montré dans le monde entier. 

La philosophe américaine nous incite à poser une question simple et directe: est-ce que la vie des mères pauvres (des mères adolescentes, pour reprendre l’exemple de mon dépliant) est vivable?


Ce qui me dérange le plus dans ce concept de résilience, et qui en fait une plaisanterie cruelle, c’est qu’on encense les mères qui se résignent à une vie invivable, en leur enjoignant d’accepter l’inacceptable avec le sourire et, par un effet pervers, on dénigre celles qui ne l’acceptent pas. 

Toutes les mères (toutes les femmes, tous les opprimés en réalité) sont donc perdantes: celles qui sont résilientes doivent se taire sans réclamer le droit à une vie meilleure et celles qui ne le sont pas sont dénuées d’un trait qu’on vend comme une qualité morale.


Les mères que je connais ne sont pas résilientes. En revanche, elles sont furieuses, rebelles, révolutionnaires et c’est ce qui me donne de l’espoir.


Les oppresseurs sont bien contents d’enjoindre les autres à se résigner et l’idée de résilience est pratique pour cacher les systèmes oppresseurs. 

Comptez sur les mères pour les mettre en pleine lumière - ou y mettre le feu.


D’autres batailles ⭣