Publications avec le tag tristesse
Le sens de la vie
 

Batailles choisies #484

En plein rush de la vie de famille, une pause: se retrouver en communion, dans un grand moment de tendresse et de tristesse, avec son enfant.  🍬


 

Je suis avec Milieu à l’anniversaire d’un de ses camarades de classe. 

Milieu, qui se faisait pourtant une joie de retrouver son ami B., ne me lâche pas d’une semelle. Il ne veut pas aller jouer tout seul, ne veut pas aller prendre du gâteau, ni se servir un jus de fruit, ni crown sans maman. Il regarde tout ce monde, impressionné, intimidé par le bruit, l’agitation, la foule, les inconnus. Il se serre contre mes jambes, me colle, cherche mes bras, s’accroche à ma main et refuse de laisser ne serait-ce qu’un mètre de distance entre lui et moi. 

Tout doit lui sembler étrange. Des semaines qu’on lui parle de l'anniversaire de son camarade B.!! Tous les jours ou presque, sa tête à la chronologie floue d’enfant de 4 ans, lui a fait nous demander si c’était bien aujourd’hui, c’est “aujourd'hui cet après midi ou demain cet après-midi, l’anniversaire de B.?” S’attendait-il à ça? S’attendait-il à un de ces anniversaires de l’opulence qui sont la norme, ici, au Chili? Voilà Milieu dans une maison qui ne lui est pas familière (les parents ont loué un centre de loisirs des environs), avec plein d’enfants plus grands (on fête aussi l’anniversaire de la sœur aînée), parmi lesquels il ne trouve pas son ami B. (papillonnant tout à l’excitation de sa fête). 

Milieu ne doit pas comprendre le sens de tout cela. Il ne doit pas voir le rapport entre l’anniversaire de B. et ce qu’il vit. Alors, certainement, il se raccroche à ce qui fait sens pour lui, ce qui est sûr, doux, bon: sa maman.

Au bout d’une quinzaine de minutes de gêne, il retrouve son camarade qui l’invite à jouer: c’est parti pour un beau moment! Les heures passent dans la joie jusqu’au moment tant attendu de la piñata - impossible d’y couper, désormais elle est de tous les anniversaires. 

Les enfants en petit groupe serré attendent impatiemment le lâcher de bonbons et se jettent sur les sucreries en riant et hurlant gaiement. On demande rapidement aux invités de B. de laisser la place pour la deuxième piñata, destinée aux amis de la grande sœur. Milieu, tenant contre lui son petit sachet rempli de bonbons, s’éloigne à reculons. Je regarde les aînés prendre position à leur tour, joyeusement, dans une agitation heureuse. 

Une deuxième piñata! Deux piñatas! C’est ça, le standard, maintenant?

Je passe en revue l’environnement de cet anniversaire pour un enfant de 4 ans: une ancienne maison de maître reconvertie en centre de loisirs; deux châteaux gonflables, dont un de cinq mètres de haut en forme de requin; des tablées de desserts et d’assiettes en carton, de sodas et de gobelets en plastiques; des dizaines d’invités; une mascotte du personnage de super-héros préféré loué pour avoir quelques photos réussies. Au Chili, les célébrations ont perdu toute mesure, toute simplicité. C’est juste trop. Rien ne va ici, rien n’a de sens, dans un monde qui nous crie qu’on a besoin de sobriété, de lien, de simplicité! Je suis soudainement étreinte par la tristesse, me sentant prise dans un système que je désapprouve mais dont j’ai de la peine à m’extraire. Une angoisse m’envahit, piqûre de l’absurde, perte de repères, où se mêle l’adieu à notre planète qu’on fait gobelet en plastique après gobelet en plastique.

La deuxième piñata est finie. Je m’aperçois que j’ai perdu Milieu de vue, que je ne le retrouve plus… ah si, là, derrière un bois de jambes de pantalon. Au milieu de ce trop, il reste quelque chose de sûr, de vrai, de bon: mon fils, que j’aime, et qui m’aime. Je l’appelle, il court vers moi tout heureux de m’avoir retrouvée et se jette dans mes bras. Je lui caresse les cheveux et le prends dans mes bras, en étreinte serrée, mon fils tout doux, mon fils tout chaud. 

Il existe bel et bien, le sens.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Cœur lourd, fuite en avant
 

Batailles choisies #476

Un baume au cœur lorsqu’on fait ses valises après de douces vacances: parler de nos problèmes, plonger dans nos doutes, couler dans nos soucis… pour sortir la tête de l’eau trouble. 🧳


 

C’est le dernier jour de nos vacances en France. Notre avion décollera à presque minuit ce soir. Ça faisait trois ans que je n’étais pas venue. Ça faisait longtemps que je voulais que mes enfants connaissent la France, la gardent dans leurs souvenirs, sachent où habitent leurs grands-parents qui vivent si loin. Ça m’a fait un bien fou, d’être là, de vivre ça avec mes enfants.

Minuit, c’est loin et c’est proche. Chaque heure de la journée passe avec sa normalité tranquille, avec sa routine des sorties et des repas qu’on a définis pour notre parenthèse estivale et dont on s’est si parfaitement accommodés qu’il nous semble avoir toujours vécu ainsi. Comme chaque heure est lourde, pourtant, loin de la légèreté des dernières semaines! Je passe ma journée à soupirer. J’ai le cœur grevé, terriblement. Tout ce que je regarde, les hauts arbres d’un vert d’été de la promenade tout à côté de chez mes parents, le lac aux reflets chatoyants où nous sommes allés quotidiennement, les cimes des bouleaux du bois voisin que les rayons de soleil traversent avec délices, toutes ces couleurs riantes sont teintées de plomb. On repart aujourd’hui, on reprend le cours de notre existence, travail, école, crèche, famille trop lointaine, disputes, marathon quotidien, tunnel et tous les “et caetera” grimaçants d’une vie avec des jeunes enfants.

Minuit, c’est loin, c’est proche et c’est largement l’heure de faire les valises. Mes parents s’occupent des trois petits pour que mon mari et moi puissions résoudre le problème des bagages dans lesquels n’entrent ni ce qu’on veut ramener de France, ni ce qu’on a amené du Chili.

Cœurs lourds et sourires résignés, on commence les tas, le tas pour la valise en soute, le tas pour la valise en cabine avec les vêtements d’hiver, le tas pour ce qu’on ne ramène pas, le tas pour des choses qu’on aimerait ramener mais qu’on ne pourra certainement pas ramener et qu’on laissera sans doute à mes parents pour qu’ils les prennent lors de leur prochain voyage. Les tas grandissent puis rapetissent à mesure qu’on remplit les valises. Il faut dépasser les tas, partir, laisser tomber notre cœur lourd et nous lancer en avant, vers ce qui nous attend, là-bas, en discutant de ce qui vient:

- Et comment tu penses qu’on peut faire pour améliorer les repas? Honnêtement, c’est chaotique, ça ne peut plus durer comme ça. Tu penses que Dernier sera moins malade? Qu’il nous pompera moins d’énergie? C’est sûr qu’il a changé en un mois, il a grandi, il a fait de grands progrès… J’aimerais bien que Milieu puisse rester tout seul chez ta mère, il n’a pas l’habitude d’être sans nous, ça lui ferait du bien. Tu crois que les enfants pourront s’occuper mieux, le soir? Dehors, s’il fait jour, si Dernier sort un peu de sa période touche-à-tout…

Il faut bien partir et quitter la France, en pensées. Il faut bien mettre nos mains dans le cambouis, fuir en avant, s’attaquer à la vraie vie. C’était une douce parenthèse, loin du quotidien, que ce séjour. C’était un moment suspendu. Mais faisons éclater la bulle, c’est vital,  laissons couler l’eau iridescente, oublions les couleurs de l’arc en ciel, revenons au marronnasse de notre bouillasse de tous les jours, où il faut se pro-jeter…


Le zip se referme sur notre parenthèse. Nos valises sont faites. La tête, déjà partie, déjà rentrée, lourde d’interrogations, de doutes, de tristesse, a récupéré le poids du cœur, vidé, asséché et allégé.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣