Fin
 

Batailles choisies #614

Dernier a vécu son dernier jour de crèche. C’est la fin d’une époque, une fin attendue, désespérément, peut-être si désespérément qu’elle en est légèrement moins sucrée. 👋


 

Qu’on l’a attendu, ce dernier jour de crèche…

La crèche, c’est terminé - pour Dernier, qui aura trois ans dans quelques semaines et qui entrera en maternelle à la rentrée. 

La crèche, c’est terminé - pour nous, qui avons vécu sept ans de crèche en tout, avec le premier puis le deuxième, puis le troisième de nos fils. 


Pour Dernier comme pour nous, c’est l’été des fins.

Fin des couches.

Fin des siestes.

Fin de la crèche.

Fin de la petite enfance.

Fin de ma vie de mère de très jeunes enfants.


Pour Dernier comme pour nous, c’est l’été des débuts, aussi.

Début de l’autonomie.

Début des journées complètes, à organiser à cinq, ou au moins à trois.

Début des horaires similaires: tout le monde se lève à 7 heures, tout le monde au lit à 20 heures.


J’aimerais me réjouir, sabrer le champagne, chanter à tue-tête, sauter de haut en bas en battant des mains. Pourtant, lorsqu'on est parent, aucun diplôme, aucune médaille, ne nous est donnée à la fin d’une étape, qu’importe si elle aura été éreintante comme un marathon. Il n’y a pas de ligne d’arrivée, ou plutôt, on ne la voit qu’en se retournant, plusieurs mois, plusieurs années après, sans avoir vécu de vrai soulagement, sans ressentir de sentiment de clôture nette, de réussite ou de victoire. Le temps passe et laisse simplement sur le bas-côté certaines inquiétudes, beaucoup de souffrances, quelques joies éparses. 

Oui, objectivement, la petite enfance de mon fils est terminée et avec elle, toutes les galères qui y sont associées pour moi, pour son père, pour ses frères. Mais les galères ont l’art et la manière de traîner encore un peu. Il faut encore faire attention aux accidents dans la culotte. Les journées sont longues avec un petit qui ne fait plus de sieste mais n’a pas encore arrêté, en revanche, les bêtises. Et puis, plus de crèche pour le petit, pas de centre aéré pour les grands, c’est un été à m’occuper de trois enfants. Qu’importe. La crèche garde avec elle ses pires épisodes de virus, ses semaines de fermetures, ses rouleaux de sopalin à amener et que j’ai complètement oubliés, ses costumes pour les journées déguisées que mes enfants refusent de porter. 


Toujours est-il que le temps a exaucé notre vœu le plus cher. Ce n’est pas encore fête, mais presque, un délice dont je ne peux pleinement me délecter. Qu’à cela ne tienne, je vais anticiper et déclarer victoire: Mari et moi avons survécu à trois petites enfances enchaînées, nous avons souffert, mais c’est fini. 

C’est la fin.

Et maintenant, le début d’autre chose.


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Batailles rangées⭣

La ride
 

Batailles choisies #613

Les rides sont des sourires gravés, a écrit Jules Renard. Mouais. Chez moi, elles sont surtout des engueulades incrustées. ⚡️


 

Il serait bienveillant de trouver que les rides naissantes qu’arbore mon visage sont les traces de mes éclats de rire partagés avec mes petits, de mes yeux qui se sont émerveillés face aux dessins offerts avec amour, de ma bouche qui a dit cent fois “je t’aime”.


Sauf que je me regarde dans le miroir et la première ride qui s’est incrustée sur mon visage, est venue se loger dans mon front, entre les deux sourcils. 

Ma première ride sera donc celle de mes colères.

Celle de ma fatigue d’être mère.

Celle de mes questionnements.

Celle de mes inquiétudes.

Celle de mes culpabilités. 

Ma première ride sera donc celle de la maternité, qui m’a fait froncer les sourcils et plisser le front.


Cette ride, non du sourire mais du souci, ride terrible de vérité, crue, éloquent, c’est ma maternité, et chaque jour la creuse un peu plus. Certaines journées, mes enfants s’y mettent de leur plus mauvais caractère pour en bêcher le sillon. 

Aujourd’hui, par exemple, je les presse, allez, habillez-vous, allez, allez, allez, vous montez vous habiller tous seuls! Mais c’est pas possible de devoir répéter vingt-cinq fois des instructions basiques, et les dents aussi, et vous vous coiffez.

Mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

Je monte parce qu’ils en mettent, du temps, pour découvrir les garçons en pyjama, dents jaunes et cheveux en épi riant aux éclats dans un vaste capharnaüm: ils ont défaits tous les lits pour se faire des cabanes, ont sorti toutes les peluches, ont mis mes livres en guise de décoration. 

Ma bouche se fâche, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

À peine un peu plus tard, j’essaie de comprendre pourquoi Milieu et Dernier pleurent, pourtant non, ils n’ont pas été amputés sans anesthésie, alors que sont ces hurlements? Je tends l’oreille aux explications larmoyantes et pleines d’alarmes, incompréhensibles et exaspérantes.

Ma patience se tarit, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

J’en suis désormais à négocier des tours de jeu pour la voiture télécommandée, en déployant le plus de pédagogie que je peux face à la septième dispute haineuse de la journée. L’accord auquel parviennent les garçons redonne de la sérénité à mon visage: ma peau et moi respirons.

Mon visage se déplisse légèrement, mes sourcils se froncent mais moins, ma ride se creuse mais moins.

C’est le début d’après-midi et je tente de travailler, d’écrire, mais je n’ai pas bien dormi la nuit dernière, pas plus que la nuit d’avant, ni celles de trois dernières, des cinq dernières, des huit dernières années. Je frotte mon front, mes yeux, mon visage, pour faire partir cette fatigue qui traîne et qui pousse mes sourcils l’un vers l’autre.  

Mon œil gauche se plisse, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

Je mets à profit mon unique temps de tranquillité de la journée, quand les enfants regardent la télé, pour écrire et travailler à mon roman, à mon blog. J’essaie d’avancer mais je suis engluée dans la certitude que ce que j’écris n’est pas très bon, je m’en veux de ne pas écrire assez, de passer trop de temps à regarder Youtube alors que je devrais écrire tout le temps si je veux arriver quelque part!

Ma tête tombe lourdement dans mes mains, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

Je laisse encore un petit peu la télé, pour prolonger ce temps égoïste mais salvateur, et la culpabilité m’assaille.

Ma bouche se plisse en une moue de dégoût de soi, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse. 

En fin de journée, alors que Dernier fait une crise monumentale parce que je lui refuse des chips trente minutes avant le dîner, je dois m’avouer: je ne supporte plus mon petit, physiquement, je ne supporte plus de l’avoir dans ma vie et dans mes pattes, je n’arrive plus à trouver de solution à ses caprices, je suis au bout du rouleau. Je me dis que c’est parce que je n’ai plus de patience que mon fils est si difficile, que c’est de ma faute.

Des larmes me montent aux yeux, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.  

Au dîner, les garçons mangent avec leurs doigts et mes récriminations ou reproches tombent comme une pierre au fond d’un puits, je me sens si ignorée.

Ma respiration se fait lourde, mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

L’heure du dodo voit encore quelques menues disputes et des demandes de câlins qui sont plus des exigences, de celles que je donne à contre-cœur en me sentant écrasée.

Mes sourcils se froncent, ma ride se creuse.

 

Sillon après sillon

La fatigue

Les gronderies

Les inquiétudes

Les culpabilités

Cette ride si peu flatteuse, que je rêverais en cicatrice d’Harry Potter, signe d’une souffrance mais d’une puissance, alors qu’elle n’est qu’une ornière boueuse de la vraie vie maternelle, qui brûle chaque jour davantage et m’épuise, les trois garçons que j’aime et déteste me l’auront fabriquée, mes trois fils, satanés bêcheurs.


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