À loisir
 

Batailles choisies #663

Il est une mésentente conjugale, dans mon couple, qui est là depuis longtemps, mais que, enfin, je commence à comprendre et regarder à travers d’autres yeux que ceux de la féministe que je suis. 🛠


Je comprends enfin que Mari et moi ne sommes pas le même parent. 

Que bien sûr, le prisme féministe au travers duquel je regarde mon couple explique une grande partie des années difficiles passées depuis que nous avons eu un, puis deux, puis surtout trois enfants. Que cette perspective explique la spécialisation de nos rôles respectifs, et les injustices, incompréhensions et inégalités qui vont nécessairement avec, mais que ce prisme n’en est qu’un. 


Une explication? 

C’est un jour de week-end comme un autre. 

Je m’occupe des enfants, passant des besoins de l’un à ceux de l’autre, prévoyant des activités incluant dépense d’énergie, air pur, apprentissage, doux moment, ou, au moins, activités m’évitant des séances de catch, n’importe quelle sortie qui pouvant se faire dehors, et si possible invitation chez un copain ou une copine pour me délester d’un enfant et me faciliter la vie.

Et pendant que je m’occupe des enfants, soit directement, en restant avec eux dans notre rue pendant qu’ils jouent au foot, soit indirectement, en anticipant les besoins ou en bidouillant de fragiles programmes… Mari…

Mari tond la pelouse. Ou élague nos arbres. Ou fait une lessive. Ou bricole dans notre chambre cette fenêtre qui laisse passer un filet d’air. Ou répare le toit de la loggia. Ou fait peu importe quoi, seul, concentré, dans ses occupations, libéré des enfants. Il fait des choses indispensables et inutiles, urgentes et accessoires.


Le prisme féministe, je l’ai utilisé pour comprendre cette scène qui s’est souvent répétée dans notre vie de famille et qui, évidemment, est appelée à se répéter de nombreuses autres fois.

La spécialisation de nos rôles, domestiques et parentaux, me délègue, non seulement l’immense majorité du temps que les enfants passent hors de l’école, mais en plus, elle me donne toujours le soin des enfants, la connaissance de leur psychologie, de leur goût, de leur étape de développement. Elle me refile, effectivement, le travail émotionnel de la parentalité. Cette spécialisation des conjoints donne aussi à Mari tout le travail de bricolage, des comptes, des achats importants, autant que celui de s’occuper du bon fonctionnement de la maison. Il le protège aussi, de fait, de se plonger, de se noyer, dans l’ingratitude du travail émotionnel, le dédouanant d’en faire moins que moi. Tout cela est vrai.


Pourtant, je comprends enfin qu’il y a un autre prisme

Mari vient d’une famille élevée avec le slogan: tout coûte. Tout coûte du temps, de l’argent, du travail. Son enfance, c’était aller avec sa mère au supermarché et attendre qu’elle parle au responsable parce qu’il y avait une différence de 4 pesos entre le prix à la caisse et l’étiquette. C’était passer son dimanche à ranger, à faire le ménage, à nettoyer en profondeur le canapé et y trouver une grande satisfaction. C’était aller toujours chez les mêmes amis, ou avoir toujours les mêmes amis qui viennent vous rendre visite. C’était aider sa mère à réparer, à faire du bricolage. En somme: Mari vient d’une famille du travail.

De mon côté, c’est différent. Mes parents travaillaient, oui, mais dans une configuration différente, plus privilégiée, dans une vie nomade très particulière où l’on déménage souvent, où on vit dans un logement de fonction dans lequel les meubles ne sont pas à nous, où les factures n’arrivent pas avec la même conséquence. Nous avons été élevés avec le sens du travail et de l’effort, oui, mais tout de même beaucoup plus avec le sens du loisir, avec une chance du temps libre, des dimanches où on sort, où on prend du bon temps, où on ne va pas passer notre temps à bricoler ou à aller au supermarché, ah non, hors de question.


Alors, lorsque pour la centième fois, Mari me dit qu’il va bricoler, que je retiens mes reproches féministes que c’est toujours moi qui m’occupe des enfants, après avoir abandonné de les tourner sans agressivité, et qu’il me répond: “je finis tous les jours à 18h30. À quel autre moment, je suis censé m’occuper de la maison?”, à ce moment-là, j’ai une épiphanie formée de plusieurs évidences qui s’emboîtent les unes dans les autres.

Ce n’est pas moi qui vais réparer le toit.

Je déteste passer mon temps le week-end à faire des tâches domestiques.

Mari trouve qu’il n’y a rien de plus normal, quand on a des enfants, que de passer le temps partagé à faire des trucs que personne n’a envie de faire mais qu’il faut bien faire tout de même. 

      

Et je me rends compte que de nombreuses discussions, incompréhensions, que nous avons, viennent de ces histoires familiales, de nos identités personnelles et parentales, tout autant que de la structure oppressive construite autour des mères. Que Mari est un père qui travaille, la semaine, le week-end, alors que je tire plus du côté du loisir

Et que, si on peut remettre en cause cette spécialisation des conjoints, il s’agit aussi de regarder Mari d’une autre manière, autant que de me regarder d’une autre manière.


J’ai la chance de me demander ce que je vais faire comme sortie avec les garçons, plutôt que de me dire qu’il faut que je lave le tapis ou que le chauffe-eau ne marche pas et que je vais essayer de le réparer moi-même, quitte à y passer trois après-midi entières. J’ai de la chance de déléguer, là-dessus. 

Tout ça change ma façon de voir notre couple - et Mari. Tout ça, sans doute, me change - ou me changera: garder cette révélation en moi, la laisser s’écouler et m’imprégner, à loisir.

 

Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

La colle et l’étiquette
 

Batailles choisies #662

C’est ça, être parent d’enfants grandissants? Voir son enfant prendre forme et ne pas aimer ce qu’il devient? Comment on aime une petite personne qu’on est censé adorer plus que tout, quand elle se comporte comme un moins que rien? 📛


Allez, et c’est reparti. 

Grand se bloque. 

Il décrète qu’il arrête, qu’il abandonne.

Qu’il ne veut plus faire.

Et il me regarde, depuis son coin, assis sur le perron de la porte.

Entre continuer à m’exaspérer et sortir du conflit, il hésite, ne fait rien.

Entre me mettre à lui crier dessus et abandonner pour sortir du conflit, j’hésite, ne fais rien.

Aucune des deux voies n’est la bonne, je le sens, le sais.

Mais en moi-même, je bous.


C’est le soir et je suis dans mon lit, le sourire en berne, une colère, une fatigue qui me consume, un grand découragement qui me prend.

En moi-même, je continue de bouillir.


Je passe en revue la journée d’aujourd’hui, que j’espérais douce et positive pour ma petite vie de famille, ma petite vie de maman. Je ne suis qu’avec Grand et Milieu, ça va être tranquille, sympa. Tous les trois entamons une session de rollers, sport que Milieu a demandé à pratiquer et auquel nous nous mettons tous, en famille.

Et Grand, au bout de cinq petites minutes, repart dans ses abandons, sa fâcherie, ses bouderies, sa mauvaise humeur qu’il envoie au monde entier avec sa moue rebelle et infantile.

Non, j’arrête le roller.

J’ai pas envie.

Je m’ennuie.

Je veux plus. 


Quoi? Encore ça?

Encore?

Mais on a déjà eu ce problème la première fois qu’on a enfilé nos patins! Grand est tombé une fois et a décrété qu’il n’aimait pas et n’en referait pas. Mari s’est fâché, Grand est parti en pleurant, j’ai réouvert un livre de chevet de parentalité pour trouver une réponse à ce problème, j’ai eu une discussion avec mon aîné pour l’aider à sortir de cette image de lui-même qui le pèse, j’ai cru le problème résolu.


Et non, ce problème est revenu plus lourd, cette étiquette est revenue plus collante que jamais.

Grand n’a pas le sens de l’effort. Il manque de pugnacité et, à mesure qu’il grandit, ce défaut l’empêche. D’autant qu’il manque de confiance en lui, qu’il se dit souvent nul en ci ou ça, qu’il n’a pas envie de se dépasser.

Oui, sûrement, dans le cas des rollers, ça vient d’un complexe qui naît de voir son frère, Milieu, à l’aise avec n’importe quel sport, léger, agile, véloce et faisant facilement tout ce qu’il se propose.

Oui, sûrement, notre inquiétude s’amplifie à cause du manque de coolitude de notre fils, de ses relations amicales dans lesquelles il est, trop souvent, le nerd, le geek, le looser, qui font qu’on prête plus attention à ce qu’il réussit ou à ce à quoi il échoue.  

Oui, sûrement, on a fait des erreurs avec Grand, on lui a fait les choses à sa place, en bon premier qu’il est, on l’a rendu empoté et peu persistant en voulant lui épargner trop de peine.

Oui, sûrement, pour résoudre ce problème, on a empiré la situation en le critiquant, en insistant, en apposant avec nos mains bien intentionnées l’étiquette tant redoutée de boudeur, de fuyard, de nul.

Oui, sûrement, dans ma famille il y a un problème de confiance en soi qui passe dans le sang.

Et?

Et maintenant quoi?

Comment on fait quand son enfant est devenu cette personne?

Que dois-je faire, en tant que maman?       


Je suis fatiguée de cet enfant. De cette mauvaise tête. Je ne sais pas quoi faire avec ce défaut, avec ce bagage qu’il porte ou plutôt traine. J’ai essayé différentes réponses: j’ai critiqué; j’ai montré le problème; j’ai décrit le défaut; j’ai crié; je n’ai rien dit; j’ai eu confiance qu’il allait comprendre; j’ai trouvé que c’était de ma faute; j’ai eu un haussement d’épaules; j’ai pleuré; j’ai continué à bouillir de rage.

C’est donc ça, avoir des enfants qui grandissent? On commence à les voir comme des personnes avec leurs défauts, qu’on ne peut plus vraiment corriger mais dont on doit attendre qu’ils décident, eux, de les corriger seuls, ou bien d’accepter de vivre avec? Et, en attendant, en tant que maman, mon rôle est-il de pointer du doigt ce qui ne va pas, de continuer à essayer de l’éduquer? Ou faut-il se retenir d’intervenir, qui serait le pire quand on croit faire le meilleur? Faut-il se rassurer en trouvant que c’est quand même un gentil garçon, avec ses grandes qualités?


Non, j’arrête le roller. Je m’ennuie. Je ne veux plus en faire. Je veux aller dessiner à l’intérieur.

C’est le soir et je ne peux m’empêcher de repenser à ça. 

J’y repense et souffre, de rage, de désillusion, d’impuissance


Impuissance. C’est donc ça, avoir des enfants qui grandissent?

Attendre que ça passe.

Espérer que ça passe. 


S’endormir avec cette angoisse, espérer que la nuit porte conseil.

Et se réveiller et n’avoir rien trouvé.

Sentir l’ébullition encore présente, à peine refroidie par la nuit.

Et maintenant, quoi?

 

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