Fendillée
Batailles choisies #78
En deux mots:
Être parent, c’est dur. C’est l’expérience d’être souvent face à ses échecs. C’est se faire fendiller le coeur. Puis sourire d’amour.
Je suis une personne calme, je prends beaucoup sur moi, ne suis pas à l’aise avec le conflit. Le nombre de mes colères doit se compter sur les doigts d’une main. Enfin, cette main, c’était avant de devenir Maman. Avec mes enfants, je me suis mise dans des états de colère dont je ne me serais jamais cru capable. J’ai découvert plus généralement que la maternité m’aura mis dans des états dont je ne serais jamais cru capable.
Ce soir, ma colère furieuse s’abat sur Grand parce qu’il a mis un coup de pied dans le visage de son frère pour une broutille dont je ne me souviens même pas. Je lui crie dessus. Lui hurle dessus. L’oblige à s’excuser. Je sors complètement de mes gonds, loin de ce que je sais être le plus efficace, dire fermement non, s’interposer et le reste de la page 38 d’un guide quelconque de parentalité positive.
Dans mon esprit, très vite, je me dis que c’est encore une colère, encore une fois où je n’aurais pas dû. Encore une fois où j’ai perdu patience. Où j’ai perdu le contrôle. Où j’ai été loin des livres que j’ai lus, loin de la mère que j’imaginais être, beaucoup plus près d’un miroir peu flatteur.
C’est ça, être mère? Se fendiller? Se fendiller le cœur? Fendiller cet espoir qu’on éduque bien ses enfants, fêler son image de mère qui peut y arriver?
Être mère, c’est si souvent être face à ses erreurs, les trimbaler avec soi. Trop souvent. D’autant plus depuis le confinement.
Suite de la soirée. Grand pleure à chaudes larmes. Il se couche, encore secoué de sanglots. D’habitude, il demande toujours un bisou. Là, il a fait spécifier par son père qu’il ne voulait pas de moi pour le coucher. J’ai le cœur pincé, j’aime ce moment, doux, riche, ces quelques minutes de conversation avec lui, juste avant qu’il s’endorme. Une porte d’entrée vers sa pensée en construction. Une conversation où je comprends quelles pensées l’habitent, et qui il est.
Il se couche donc, ostensiblement fâché contre moi.
Je laisse passer quelques minutes puis viens quand même chercher mon bisou, parce que d’abord c’est quand même lui qui a mis un coup de pied dans la face de son frère et puis que merde je suis une bonne mère, souvent, très souvent.
Il me fait toujours un peu la tête, mais… la conversation finit par s’installer.
J’ai droit au débriefing, évidemment: “Maman, pourquoi tu te fâches très fort parfois?”
Ce qui me marque, ce soir, ce sont les questions qui reviennent plusieurs fois, montrant qu’elles le turlupinent. “Et pourquoi Petit, il veut passer beaucoup de temps avec moi? Et pourquoi Petit, tout le temps, quand je fais un jeu, il vient et il veut faire pareil? C’est parce que je lui apprends beaucoup de choses?”
Je vois sa pensée se fabriquer, ses questionnements se dérouler, bruts, sous mes yeux: il veut comprendre sa relation à son frère. Son frère qu’il aime, qui le suit partout, qui veut jouer avec lui, alors que lui veut parfois, et parfois violemment, être seul, ou jouer à sa manière, ou avoir ses parents rien que pour lui.
Je le vois se poser des questions, grandir, chercher à comprendre.
Je souris intérieurement parce que c’est une des joies d’avoir des enfants.
Et je sens le pincement de ma culpabilité, parce que ce soir, moi non plus je n’irai pas au lit en paix.
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