Blueish
 

Batailles choisies #597

Parfois le meilleur dessin animé, le plus intelligent, le plus choupi, le plus joyeux, a l’art de vous faire sentir la pire mère du monde. 🐾


 

J'aime beaucoup Bluey, ce dessin animé australien d’une famille de quatre chiens, Bluey, l’héroïne éponyme, chienne bleue, sa petite sœur Bingo, Papa et Maman. Les deux enfants doivent avoir 6 et 4 ans, quelque chose comme ça. Ce sont des chiens humains, qui cuisinent, vivent dans une maison dont le jardin a un trampoline et c’est mignon comme tout. C’est en général sans culpabilité que je leur mets si mes enfants le demandent, loin devant les Ninjagos et autres Sonic où j’ai l’impression de leur servir des bonbons pleins de produits chimiques en version télévisée


Pourquoi j’aime autant Bluey que parfois, moi aussi, je regarde avec les enfants? Mais parce que toutes les aventures, dans de très courts épisodes, marchent au carburant de l’imagination des enfants! Pas de dragons, ni de ninjas, ni de superpouvoirs, mais des fillettes qui jouent à faire l’hélicoptère avec des feuilles de palmier, mais un père qui fait le robot, la machine, l’aspirateur, le tout en mode clown, pour le plus grand bonheur de ses enfants, mais une vie quotidienne qui fourmille des mondes inventés et des plaisirs simples de bambins pleins de ressources.

Tiens, par exemple, là, ce que sont en train de regarder mes garçons: “l’île aux tapis”, un épisode où Bluey et Bingo vivent sur une île (dans leur jardin) où les adultes n’ont pas le droit d’aller, où les fruits sont faits avec des blocs de jouets, où on doit apprendre à papa, échoué là et recueilli à contre-cœur, à survivre dans la nature et à apprivoiser le Robinson qui est en lui. C’est doux, c’est drôle, c’est plein de ce monde renversé où les enfants apprennent aux adultes, où les grands sont maladroits et ont besoin de leurs enfants pour s’en sortir.

C’est vraiment mignon, cette histoire, me dis-je.

Le seul problème de Bluey, c’est que les parents sont les parents parfaits que j’aimerais être. Ceux qui ont le sens de l’humour en toute situation, ceux qui guident sans imposer, ceux qui trouvent la bonne distance pour traiter les problèmes d’enfants à hauteur d’enfant, tout en leur donnant l’importance qu’ils méritent… L’autre problème, c’est que mes enfants ne risquent pas de jouer avec leur imagination, puisqu’ils regardent la télé…


Moi… ben… 

Moi, au lieu de jouer avec mes enfants, je les plante devant un écran, parce que je suis épuisée et parce que je veux travailler sur mon écriture, que je n’ai pas l’énergie de faire l’hélicoptère, le xylophone, la naufragée. 

Mes enfants regardent des histoires d’imagination, en n’utilisant pas la leur, ils regardent des gosses grandir en restant assis, ils regardent des parents qui ne sont jamais fatigués d’être parents. Il m’arrive, souvent, d’être le loup, la cliente du salon de coiffure, la méchante voleuse, mais ce n’est jamais si beau, si doux, si plein d’empathie qu’à la télé… 


Je ne m’en sors pas si mal, non… Allez, je ne suis pas une si mauvaise mère. Mais j’aimerais avoir cette force d’élever des enfants pleins d’imagination… sauf que ce serait à mes propres dépens… alors je dois me choisir un peu, et leur proposer la vie idéale sur écran.

Allez, je n’ai plus beaucoup de temps, il va bientôt falloir éteindre. Il vaut mieux balayer mes doutes sous l’île aux tapis.


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Dernière goutte
 

Batailles choisies #596

Dernier, mon der des der, et les maladies de crèche: où pourquoi élever un enfant de moins de trois ans et travailler est (quasi) impossible. 💧


 

Dernier a une tête à être malade. 

Mari a une tête à partir acheter des allumettes.

J’ai une tête de soupir éternel.


Les maladies de crèche, je n’en peux plus. Vraiment. C’est la raison principale qui me fait ne plus vouloir d’enfant. C’est parce que je ne supporte pas ce visage semi-fiévreux et les emmerdes qui vont avec que je peux dire avec certitude: Dernier sera notre dernier. Mon drame intime qui me prend en tourbillon (comment on va faire, et Mari, et on va encore s’engueuler, la tension va monter de quatre crans d’un coup) se double à chaque fois qu’un enfant est malade, d’une piqûre de rappel, drame sociétal: travailler et s’occuper d’un gosse de moins de trois ans sont incompatibles. Non. On ne peut pas faire les deux. On se met une pression terrible, on se trouve dans des situations inextricables, on souffre et on doit se taire - ou on devient fou.


Dernier, donc, a une tête à être un peu malade, à couver un peu quelque chose, à être à une heure, ou un jour, de faire une fièvre à 39º. Le problème, c’est que ni moi ni Mari n’avons de jour enfants malades. Si on rate le travail, on est ponctionné de nos paies. On n’est pas les plus malheureux, mais pour un mauvais rhume, quelle angoisse….  


Mari s’est chargé depuis l’entrée à la crèche de notre dernier-né, de tous les épisodes de virus ou presque. Il s’arrange, fait ses réunions en visio, prend le tousseur chez sa mère, travaille de là-bas, et régulièrement, pète un câble. Car le nombre de fois où, même si ma belle-mère s’occupe de Dernier, le petit réclame son père, l’empêche de bosser, le coince dans une situation horriblement inconfortable qui le pousse chaque fois plus au bord de l’abîme, tout près de la mer de colère, du gouffre des chaudes larmes, de la montagne de récriminations. Je vois la tête de Mari, qu’encore, Dernier va être malade, encore, alors que le printemps est dans deux jours, encore c’est pour ma gueule, ne pas travailler, faire semblant de ne pas être dispo en réunion. Si ça lui retombe encore une fois dessus, ça va être la dernière goutte, pour lui, pour nous.


Allez, l’envoyer un peu shooté, qu’est-ce qu’on va faire d’autre. J’attends que Mari tourne le dos et je dis à Dernier, tiens, prends un médicament, on verra combien de temps il peut rester à la crèche. Dernier, gentiment, s’exécute - il a l’habitude, le petit chou. Allez, une dernière goutte, mon Dernier. Dans mon cœur, dans ma tête, ça me rend malade: mon gosse n’a pas besoin d’un médicament. Il a juste besoin de rester quelques jours à la maison. Et qui sait ce qu’il y a dans ces médicaments? Qui sait quels sont les effets à long terme de ces trucs dont je bourre mon fils, non pour son bien, mais pour la survie de ses parents?  


Marre de ce monde où il faut produire, travailler, travailler, où on nous presse comme un citron, où on nous presse jusqu’à la dernière goutte, pour tirer tout notre suc, pour faire tourner la machine. Marre que ce monde ne soit pas tourné autour des enfants: il a besoin de ses parents, pas de paracétamol. Marre d’envoyer son enfant malade à la crèche, juste pour faire ses heures.


Au compte-goutte, les années passent et ces problèmes-là avec elles. Mais la culpabilité, non. Elle, elle stagne.


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