La preuve
 

Batailles choisies #619

Arrive-t-on à dépasser le sentiment d’être responsable d’un manque de son enfant? Ou passe-t-on sa vie avec un cœur pincé, à chercher des preuves qu’on ne l’a pas irrémédiablement affecté? 😞


 

J’ai déjà évoqué souvent cette culpabilité qui m’étreint avec plus ou moins de force, du pincement de cœur au serrement d’estomac, de l’inquiétude légère à la mauvaise nuit de sommeil, lorsque j’ai le moindre problème, la moindre difficulté avec Milieu, ou que, pire, lui, éprouve une difficulté. À chaque fois, je reviens à cette deuxième année de mon fils du Milieu, où, pendant plusieurs mois, il a manqué de sommeil, parfois plusieurs heures quotidiennes, sans que je réussisse, en pleine pandémie, accaparée par mes garçons, vivant avec ma belle-mère, sous son toit et sous son joug, incapable de faire changer des horaires que je ne contrôlais pas, à lui donner la possiblité de satisfaire un besoin physiologique si essentiel et dont j’ai peur que le manque ait créé des séquelles, des retards de développement, un manque de capacité d’attention, que sais-je encore - bien qu’aucune étude ne montre de lien entre ces deux éléments.


Alors quoi, c’est la rentrée de Milieu en grande section de maternelle, et il s’accroche à mes jambes en pleurant? Alors quoi, quand je lui demande ce qu’il a fait à l’école, il me dit “rien” d’un air mauvais, avant d’ajouter “j’aime pas l’école”?  C’est peut-être ce manque de sommeil quand il était petit… c’est sûrement ma faute?   


Je n’arrive pas à m’en défaire, de cette inquiétude logée dans mon cœur. Je vacille à chaque fois, entre l’impression que c’est un pressentiment de maman qu’il faut que je suive, et l’idée que c’est une peur idiote et irrationnelle qui non seulement est ridicule, mais qui en plus, nourrie de mes propres faiblesses et angoisses, m’embrume la vue, et m’empêche de voir ce qu’est mon fils, comment il est, comment il grandit. Je paie le triple prix: il n’a peut-être rien, et je m’inquiète pour rien; il n’a peut-être rien et je lui transmets mes angoisses qui peut-être, lui donneront quelque chose; ou il a quelque chose et c’est de ma faute.


Alors comment me sortir de cette mauvaise soupe de culpabilité? Il est si difficile de démêler ce qui est lié à sa personnalité et ce qui est lié à son développement... 

Je cherche, je regarde, je furète, à la recherche de preuves que oui, il va bien, que non, il ne se développe pas de travers, que non, il ne lui manque rien pour grandir, avancer, devenir quelqu’un. 

Non, sa petite enfance ne lui a pas laissé de traumatisme durable! Voyez pour preuve: il pose plein de questions, récite ce livre par cœur en y mettant le ton, a fait de grands progrès en français, est excellent en construction de Lego, joue au foot avec des enfants plus grands dont il devient facilement l’ami. Ou bien… est-ce de ma faute, s’il est si pleurnicheur, incapable de dire ce qui lui arrive, d’exprimer ses émotions, s’il se montre si fermé à partager, s’il n’aime pas et n’a encore jamais aimé l’école, s’il préfère lire seul (c’est-à-dire feuilleter un livre dans son coin) que d’apprendre les mots nouveaux que sa petite maman a si envie de lui faire découvrir?  


Ou bien, est-ce, juste, son âge, et je me monte la tête au court-bouillon

La mauvaise soupe… 

Simplement distrait ou manquant d’une connexion essentielle? Discret ou incapable de comprendre avec ses émotions? Plus de limitation pour la compréhension des langues ou habileté pour d’autres choses? Il est si difficile aussi de ne pas comparer Milieu avec son frère aîné, qui est scolaire, adore l’école, parle sans arrêt et aime que sa maman lui apprenne des choses.   

Ou ne serait-ce pas que le plus difficile, c’est de ne pas laisser sortir toutes mes angoisses, celles d’une mère qui se retrouverait bien mal en point que ses enfants ne réussissent pas par l’école, moi qui ne connais aucun ascenseur social hormis celui que j’ai moi-même emprunté?


Et quoi… cette note dans son carnet de correspondance, qui indique que Milieu a besoin de cours de soutien en vocabulaire…? Ce serait la… preuve?


Laisser faire, attendre, souffrir en silence, espérer que le plus gros problème de Milieu, ce soit moi.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Presque
 

Batailles choisies #618

Être presque prête pour la rentrée scolaire, c’est être presque une bonne pâtissière. 👩‍🍳


 

C’est presque la rentrée. Je sens pointer l’appréhension et revenir avec elle, déjà, le ras-le-bol de ma tâche la plus pénible au quotidien, que les congés d’été avaient envoyée en grandes vacances: les goûters. Mari est parti avec les enfants chez sa mère et je suis seule à la maison. Je passe donc ma matinée à préparer les maudits goûters, dans l’idée qu’ils tiennent le stress, le choc, la longueur d’une quadruple rentrée scolaire, durant  la majeure partie des deux prochaines semaines, l’épreuve du feu.


Les goûters sont, dans le nourrissage de mes enfants, ma tâche la plus pénible. Or, ma nouvelle vie sera pleine de goûters: les 2X3 goûters de l’école, 2 collations du matin X 3 enfants, et les 2X3 goûters de la garderie, 2 goûters de l’après-midi X 3 enfants. Pourquoi les goûters sont-ils ma tâche la plus ingrate, détestée? Parce qu’un déjeuner peut être constitué d’un plat de pâtes et de bâtonnets de carotte pour tout le monde, et que je prépare ça en suivant le modèle industriel du fordisme: à la chaîne et impersonnel. Les goûters et collations en revanche fonctionnent sur le modèle des Rolls Royce: du personnalisé, du haut de gamme et un service après-vente sans faille.

Celui-ci aime les biscuits au citron, celui-là au chocolat mais sans noix de coco alors que lui aime les cookies à la noix de coco mais sans chocolat et en aucun cas les biscuits au citron. Il faut que je fasse des merveilles avec des petits tupperwares dont j’ai perdu la moitié des couvercles, avec des sacs en tissu qu’il faut plier soigneusement en forme d’enveloppe et mettre au frigo la veille. Le matin, comme c’est pour l’école, il faut toujours qu'il y ait un fruit, puisque les maîtresses m’écrivent des mots dans le carnet de liaison s’il n’y en a pas - pas question de nouveau de me retrouver prise en faute par une collègue, oh non! De plus, j’essaie, autant que possible, de leur donner du fait maison, pour éviter les produits de synthèse de supermarché sans doute pleins d’horreurs chimiques, pour faire des économies sur la nourriture, pour développer le goût des bonnes choses et pour réduire nos déchets de consommation courante. Tout ça pour qu’évidemment, les garçons râlent parce qu’eux ils n’aiment pas le quatre-quart à l’orange et qu’ils ne l’ont pas mangé. 

Ces six goûters quotidiens sont donc un beau paquet d’emmerdes.


Pourtant, ce matin, je dirais que ça se passe plutôt bien, j’avance avec beaucoup d’efficacité! Voyez plutôt:

Lait chocolaté

Jus de fraises

Petits desserts de gelée de fruits rouges

Biscuits au citron

Biscuits coco-choco


Il reste la pièce finale: un pain au lait, dont je congèlerai la moitié pour la deuxième semaine et avec ça, je pourrai m’estimer prête, ou presque prête, pour affronter les 4X3 goûters x 2 semaines.

Pourtant… il faut bien m’avouer qu’après deux heures en cuisine, ma fatigue me fait voir le plus grand de mes problèmes: je veux que mes enfants apprennent le goût des bonnes choses et l’importance de faire soi-même, mais… je suis une piètre cuisinière et une moyenne tout au plus pâtissière. Pas que mes petits goûters maison soient mauvais, mais ils sont surtout très mal présentés… comme mon pain au lait, qui sort du pétrin plein de grumeaux, qui doit doubler de volume et ne double pas du tout, qui doit être séparé en trois pâtons lisses qui chez moi restent collants et doivent ensuite être tressés avec délicatesse alors que ma natte ressemble davantage à celle d’une sauvageonne échevelée. Après la cuisson, le pain au lait qui est censé me faire deux semaines n’est pas trop moche mais…

Le papier cuisson a collé sur le dessous du pain et ne se décolle que très difficilement. Il en reste des bouts par-ci, par-là. 

Bon, c’était presque ça le pain au lait

Les enfants vont sûrement le dédaigner et je vais devoir me précipiter au supermarché acheter les paquets de biscuits industriels.


Mais, pour ma santé mentale, je peux peut-être espérer que ça soit pas si mal, du pain au lait avec du papier cuisson collé dessous? Que ça ait, quand même, le goût du fait maison et des bonnes choses? Ou presque?

(Mise à jour après une semaine: ils n’en ont rien mangé et à peine bu)


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