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Chagrin de maman
 

Batailles choisies #563

Ça vous est déjà arrivé de pleurer à gros sanglots, pour le truc de trop, la goutte d’eau qui donne l’impression d’être une mère complètement ratée? Vous me racontez votre #chagrindemaman ? ⬛️


 

Je finis par mettre L’âge de glace 3.

Dernier a arrêté de pleurer.

Milieu a arrêté de jouer.

Grand a arrêté de dessiner.

Tous les trois se sont installés à la grande table et regardent, tout contents, le film projeté sur le mur du salon en riant régulièrement aux éclats alors que dans la cuisine, je sens monter mes larmes.

On est mardi soir et mes enfants regardent un film, parce que je n’ai pas réussi à les occuper autrement. Parce que Dernier était en crise terrible, hurlant, se roulant par terre, parce que si l’un regarde, les autres regardent aussi, parce qu’il fallait encore tenir une heure avant la cavalerie paternelle et que je n’allais pas tenir. Mes enfants sont donc plantés devant un écran un jour d’école, et je ne suis pas certaine que ce soit une exception. Je sens plutôt que je me suis fait avoir, que ce passe-droit d’un soir va devenir la règle générale, inflexible, le droit de “mais Maman, on doit regarder la télé”.

Les enfants ne regardent pas la télé les jours d’école. Que, certains jours, mes enfants n’aient aucun écran, qu’ils s’occupent entre eux, qu’il ne soit pas normal qu’on regarde tous les jours des dessins animés est un principe auquel je tiens beaucoup. C’est aussi une réussite personnelle à laquelle je m’accrochais. Mes enfants se tiennent mal à table, ils ne prennent pas soin de leurs affaires, ils ne m’écoutent pas, je ne fais pas assez de sorties avec eux, je n’ai pas réussi à les intéresser à la musique, ils ne sont pas particulièrement sportifs ni l’âme de la fête, mais au moins, au moins, au moins, ils ne regardent pas la télé les jours d’école.

Et ce n’est pas pour dire que ce principe-là est plus important que les autres, réellement meilleur, non. Chacun a son principe-bouée qui le maintient à flot durant les tempêtes. Ça peut être que tous les jours on doit manger des légumes, qu’on veut absolument leur apprendre le rangement ou le ménage, que les enfants dorment avant 21 heures, qu’ils n’aient pas de jouets en plastique, qu’ils aient de bonnes manières, qu’ils voient beaucoup d’amis. C’est un guide que chacun fixe pour soi. Celui-là ou un autre, peu importe: voir glisser entre les doigts ce principe fondateur, celui qui vit dans notre ADN, fait énormément de mal.

Le voir ainsi partir en fumée, voir ma petite réussite jetée à la poubelle avec tout le travail parental qu’il a fallu enquiller, me met une gifle terrible et fait exploser une peine d’enfant: de grosses larmes chaudes coulent sur mes joues, les mots n’arrivent pas à sortir de ma bouche tremblante, l’air me manque, des sanglots m’oppriment la gorge et le torse. Mon gros chagrin de maman vient de loin, de longtemps, d’un peu partout. Il sort des années de mauvaises nuits, des années de pleurs, de cris, de disputes qui bourdonnent dans ma tête. Il sort de la pression que je me mets pour être la meilleure mère possible et dont j’ai du mal à voir les réussites, mais n’ai aucun problème à voir les échecs.

Pas de télé avant 3 ans est devenu depuis longtemps pas de télé les jours d’école, puis pas du lundi au jeudi, sauf exception. J’ai l’impression d’avoir enlevé mes principes un à un, à chaque enfant ajouté dans notre famille, à chaque année, mois, jours qui passent, et pas seulement ce principe-là, mais des dizaines et des dizaines d’autres, effeuillage douloureux qu’est la parentalité, cruel, qui fait entrer en soi la modestie mais fait aussi, certains soirs, sortir de grosses larmes de gros chagrin.

Pas foutue de faire du zéro déchets, des biscuits tout emballés dans du plastique pour les goûters de demain!

Des biscuits de supermarché, en plus…

Avec des mandarines pas bio…

Je rate tout…

Dîner devant la télé! J’ai raté ça aussi!

Avec les efforts de malade que ça m’a coûté!

Ce soir, j’ai le sentiment d’avoir perdu la dernière bataille que je pensais encore être capable de gagner.

Mes larmes ne s’arrêtent pas, cachées de mes chéris qui regardent leur bêtise qui brille, elles continuent de longues minutes, me brûlent les joues, noient ma bouche, secouant tout mon corps de spasmes.

À côté, les cris, les rires se poursuivent un temps pendant que, dans la cuisine, un silence se fait.

Je n’arrive pas encore à parler mais je commence à sortir de mon puits, à réfléchir, un peu mieux. Peut-être que mon chagrin ne vient pas de si loin, non, qu’il vient en fait de quelque chose de très proche, de la reprise du travail de Mari, de la fin des vacances, de l’humeur très difficile, logiquement difficile, de Dernier qui nous met tous à cran. J’ai sûrement tout raté, ce soir, mais je ne peux pas abandonner comme ça. On n’abandonne pas sa famille, ses enfants, sa maternité. Il faut bien que je reprenne pied, que j’essaie de rationaliser, de contre-attaquer - accepter la télé quelques jours, réduire progressivement, ré-insister, se donner un peu de temps pour laisser passer l’hiver, retrouver la possibilité de jouer dehors le soir.

Encore à terre, je n’ai pas d’autre choix que de me relancer dans le combat, que de sécher mes larmes, ravaler mes sanglots, élaborer, encore et toujours, mon prochain plan de bataille - que rien ne me dit que je peux gagner.


Batailles en vrac⭣

Batailles rangées⭣

Tragi-comique
 

Batailles choisies #525

Le spectacle de fin d’année de Dernier, qui commence bien et finit mal, ou l’inverse. 🤶🏻


 

Les sourires

Le monde

Le décor en rideaux noirs et en lumières

Le soleil tombant sur la scène

La chaleur écrasante de l’été

Les petites mains de Dernier qui s'agrippent à mon giron

La longue attente pour prendre une photo-souvenir

Les yeux inquiets de mon fils qui furètent

Les regards insistants des ass-mats, pleins de joie et de pression

Mille signes que ce n’est pas un jour de crèche comme un autre

Mille signes que les enjeux sont importants

Mille raisons pour que le spectacle de fin d’année de mon petit dernier soit une… comment dit-on, déjà? Ah oui: une catastrophe.


Les journées costumées et les spectacles, chez nous, sont toujours des échecs: mes enfants hurlent dès qu’il faut leur mettre des oreilles de lapin, les numéros de danse de fin d’année censés être mignons deviennent des vaudevilles tristes en un acte où mes fils pleurent comme des grandes tragédiennes. De mes trois enfants, Grand porte haut la palme de la catastrophe: un peu avant ses deux ans, je le revois, à Viña où nous vivons à l'époque, hurler depuis le moment où je le laisse dans les bras de la Miss jusqu’à bien trente minutes après la fin du spectacle. Je le revois, durant tout le numéro, se débattre pour descendre des bras de sa Miss, rouge de colère et de chaleur, dans un théâtre bas de plafond où il doit faire 35 degrés, pendant que des parents le regardent, lui, et nous regardent, nous, avec une pitié où point un jugement certain.


Étant donné l’historique familial, il est normal d’être un tout petit peu sur les nerfs pour le spectacle de fin d’année de Dernier, non?


Pour le spectacle de Noël, la crèche a mis le paquet: thème des Oscars, décor magnifique inspiré de la célèbre cérémonie, tout le personnel sur son 31, salle comble, ambiance festive et petits numéros de danse bien conçus par des ass-mats fournissant un travail superbe. 

Mon dernier-né allait-il rendre ses parents fiers? Mon dernier allait-il rompre le cercle des spectacles de Noël ratés que mes deux aînés ont commencé? Mon dernier allait-il faire honneur à toute cette préparation, à l’implication des enseignantes et des parents?


Au son de “Rudolph le petit renne au nez rouge”, entrent sur scène des bambins tout beaux dans leur tenue de soirée, pantalon noir, chemise blanche, surveston rouge brillant et nœud papillon assorti, serre-tête à cornes de rêne. Qu’ils sont choupis! Et qu’il est mignon, mon Dernier, au milieu, sur le devant de la scène, son costume à paillettes rouges étincelant comme les reflets roux de ses cheveux! Les vingt enfants se mettent en place, la chanson et la choré démarrent. Quelques uns des petits dansent timidement. Dernier ne bouge pas et regarde, sourcil froncé, le public d’un air impénétrable. Je serai satisfaite si mon fils reste comme ça, immobile, avec la grâce d’un faon pris dans les phares d’une voiture. Honnêtement, le monde, le décor, le trac tout ça, je comprends. Ce sera mieux que ses frères. J’essaie qu’il ne nous voit pas, même s’il lance des œillades insistantes et inquiètes dangereusement dans notre direction. Allez, plus qu’une minute. Reste comme ça, en camouflage, façon peinture sur le mur. Ah? Non: au milieu de la chanson, son visage se délite, son air interrogateur se transforme en gros chagrin et de lourdes larmes se mettent à couler le long de ses joues pendant que ses hurlements couvrent les sons des cloches de Noël. 


La catastrophe

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Heloise Simoncrèche, Dernier, pleurs